Oeuvres complètes de madame Émile de Girardin, née Delphine Gay, Volume 3

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Popular passages

Page 211 - Viremont, et déjà il pénétrait ses plus intimes pensées. Il lisait dans ce gracieux sourire un affreux chagrin, un amer dépit, une secrète honte d'avoir pu résister à de tels malheurs. Il devinait que cette jeune âme avait dit un adieu irrévocable à toute émotion douce, à tout sentiment affectueux. Elle aussi, pensait-il, a pris pour devise ce mot de Valentine de Milan : « Rien ne m'est plus, plus ne m'est rien ; » mais elle ne le dit pas, comme la noble veuve, en habits de deuil,...
Page 143 - Voilà ce que j'avais imaginé. J'avais un sac rempli de petites pièces d'argent, de kreutzers... Arrivé au relais, je prenais mon sac ; le postillon venait à la portière de la voiture ; je le regardais attentivement entre les deux yeux, et je lui mettais dans la main un kreutzer,... deux kreutzers,... puis trois, puis quatre, etc., jusqu'à ce que je le visse sourire... Dès qu'il souriait, je comprenais que je lui donnais un kreutzer de trop... Vite je reprenais ma pièce et mon homme était...
Page 335 - ... gagner tout son argent au jeu. Cette existence brillante le fatiguait plus que les corvées de sa jeunesse; il sentait le vide de son âme, il en souffrait, et bientôt sa santé s'altéra sérieusement. Alors les médecins lui conseillèrent l'air pur de la campagne, et pour leur obéir, il loua aux environs de Paris une écurie de plaisance assez jolie , où il se retira secrètement. Mais la solitude ne lui réussit pas mieux que le tracas du monde; la maladie de langueur qui le consumait,...
Page 332 - Ah! criait l'un, quand tu allais au moulin tu ne te doutais guère que tu deviendrais un jour un personnage ! — Te souvient-il, disait un autre, de cette ferme où l'on te faisait rentrer les foins, et des grands coups que te donnait ton maître, chaque fois que tu essayais de goûter un peu ta charge ? Avoir du foin par-dessus les oreilles et n'en pouvoir manger un seul petit brin, c'était cruel ! — Alors chacun riait de cette malice , de ce rire d'âne si bruyant que je m'abstiens d'imiter...
Page 331 - ... ne voulait point offenser ses anciens camarades, en les mettant tout simplement à la porte, il espéra qu'en renouvelant seulement ses habitudes, il dérouterait ses amis et qu'ils s'éloigneraient d'eux-mêmes. Il vendit sa méchante étable, son misérable râtelier ; il se fit bâtir une admirable écurie, arrangée à l'anglaise ^ avec de superbes mangeoires en marbre, des stalles en acajou, des râteliers en fer jaspé, des lampes de bronze, etc. ; c'était un luxe de prince.
Page 341 - Triste et mécontent, il alla se percher sur un arbre qui ombrageait un pavillon élégant ; là il resta plusieurs heures à méditer sur les vicissitudes de la vie. Sous cet arbre reposait un philosophe, qu'une sympathique mélancolie y attirait. Ce philosophe était notre âne. Etendu sur l'herbe fleurie, il pensait, hélas ! Jadis il aurait brouté, mais ses illusions étaient passées.
Page 341 - L'entends-tu, mon frère? quelle voix délicieuse ! L'enfant, tout à son âne, n'écoutait rien ; rien pour lui ne valait un âne. Que lui importaient les beaux chants du rossignol ! le moindre galop valait mieux pour lui que toutes les roulades de Philomèle, et les rossignols ne galopent pas. La jeune fille, d'une main tremblante, s'empara du rossignol, qui ne fit aucune résistance...