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vertueux qui, engagé dans une union mal assortie, se sent, dit-il, invinciblement entraîné au malheur ou au crime; il avait proclamé que le mariage était l'union des âmes et non celle des corps. Il se montre d'ailleurs, ici encore, l'homme de son temps. Austère puritain, la femme est toujours, à ses yeux, la cause première des malheurs du genre humain; en invoquant contre elle les maximes de l'Ancien-Testament, il l'humilie, et proteste en même temps contre l'insouciante galanterie des Cavaliers : « Ah! s'écrie-t-il naïvement dans le Paradis perdu, pourquoi le Tout-Puissant ne s'est-il pas contenté de créer l'homme? pourquoi, après avoir peuplé le ciel d'anges du sexe masculin, s'est-il avisé de cette nouveauté terrestre? » De même, dans son Histoire d'Angleterre, on le voit s'indigner contre les historiens qui ont attribué à Boadicée l'honneur d'avoir guidé les Bretons contre les Romains : « Les hommes, dans ce temps-là, étaient-ils des femmes, et les femmes des hommes?» Il y a plus; la passion l'entraîne à son insu, et, tout plein des paroles et des idées de l'Ancien Testament, il va bientôt jusqu'à admettre la polygamie, qu'il appelle « un droit naturel'. »

1

« Other nations used a liberty not unnatural. » Histoire d'Angleterre.-V. aussi Paradis perdu, X, 146.—XI, 291, 634-6. Samson agonistes, 1064. V. aussi le De doctrinâ christianâ, traduction de Sumner, p. 231.

Quoi qu'il en soit, Milton a méconnu ce que peut sur la passion non pas seulement l'habitude d'une résignation devenue nécessaire, mais encore et surtout ce mépris des sens, cette élévation morale dont s'inspire infailliblement toute âme religieuse. Il a de plus négligé d'examiner de près les difficultés de l'exécution, et quelques mots à peine se trouvent dans son livre sur les deux grandes questions que suscite le Divorce le partage des biens et l'avenir des enfants. La liberté domestique à conquérir pour ses concitoyens et la pureté du mariage à préserver de toute atteinte, voilà quel double but il s'est proposé; ses intentions pures et généreuses doivent lui faire pardonner ce que sa pensée contient d'erreur, et il ne s'est pas démenti en s'écriant dans le Paradis perdu: « Salut, amour conjugal!... par toi l'impudique adultère fut proscrit de la société des hommes;... c'est toi qui consacres les liens sang, toi qui les épures et les sanctifies; le premier, tu nous as fait connaître les tendres affections de père, de fils et de frère... »

du

V

MILTON DÉFEND LA CAUSE DE LA RÉVOLUTION.

IL SOUTIENT LA DOCTRINE DU CONTRAT SOCIAL ET CELLE Du régicide. SA POLÉMIQUE CONTRE SAUMAISE.

Examen des pamphlets intitulés :

1. De la responsabilité des rois et des magistrats..... Février 1648-9.

2. L'Iconoclaste. 1651.

3. Première défense de la nation anglaise...... Fin 1631.

Jusqu'à la mort de Charles I, Milton n'écrivit pas une seule ligne contre la royauté; nous l'avons vu au contraire défendre ce pouvoir contre l'Église anglicane, et il semble que, dans ses premiers pamphlets, son but ne fût pas seulement, en prenant en main cette cause, de trouver des arguments contre les évêques, ou un

moyen d'isoler leur cause pour l'affaiblir; on le voit encore, rappelant la sagesse de Salomon, les conquêtes et la sainte consécration de David, respecter avec l'Écriture les trônes « fondés sur l'éternelle justice »1; et, s'il propose à ses concitoyens un plan de réforme pour l'administration de l'Église, son modèle n'est autre chose que le gouvernement monarchique.

Toutefois, qu'il l'eût ou non prévu, par son attaque contre l'Église établie, Milton s'était engagé dans une lutte inévitable contre la couronne, puisque l'Église, nous l'avons dit, était désormais inséparable du trône, et que la ruine de l'une ébranlait invinciblement l'autre.

D'ailleurs il n'avait jamais dissimulé sa sympathie pour le Parlement assemblé en 1640; les écrits par lesquels il avait demandé toutes les grandes réformes que nous avons dites avaient été le plus souvent dédiés aux membres des Communes, et l'Angleterre, à l'entendre, n'avait d'espoir que dans leur patriotisme. Bien plus, ce n'était pas aux Presbytériens, trop timides à son gré, que s'adressaient tous ses vœux, mais à ceux qui, sous le nom d'Indépendants, promettaient des réformes plus radicales, et montraient

1 V. les éloges qu'il donne aux rois qui gouvernent suivant les lois. Defensio 1, ch. 4. FLETCHER, p. 671-2, chap. 6, etc.

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