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idées de toute sa vie. On sent avec respect dans ce singulier ouvrage de sa vieillesse le progrès de l'âge et de l'expérience. Il est désormais tolérant, non pas cette fois par calcul politique, mais par charité, et parce qu'il a vécu. Plus que jamais il invoque le développement individuel des idées religieuses, et repousse l'institution de toute Église officielle, de toute religion d'État. C'est d'ailleurs une très-longue série d'opinions purement théologiques, dont l'examen serait sans aucun doute peu profitable; la ferveur religieuse qui a dicté ce travail le tire seul du nombre infini des insipides Traités dont la théologie protestante du dix-septième siècle inondait l'Angleterre.

Ainsi préparé à la mort, Milton s'éteignit le 8 novembre 1674, à l'âge de soixante-six ans moins un mois, et si doucement, que les personnes qui le gardaient eurent le regret de ne pas recueillir son dernier soupir.

Les injures n'avaient pas épargné sa vieillesse ; elles ne pardonnèrent pas à sa mémoire s'il faut en croire le savant éditeur de l'Eixovoxλást, Baron, pendant longtemps encore un bon nombre de membres de la Haute Église achetèrent et brûlèrent tous les exemplaires de ses œuvres en prose qu'ils purent rencontrer. En 1685, un régent du collége de Lincoln fut ac

cusé d'avoir conseillé à ses élèves la lecture de ces livres, et d'avoir professé, d'après Milton, la doctrine de la souveraineté du peuple; on le priva de sa chaire, et, à cette occasion, le 24 juillet de la même année, l'Université d'Oxford présenta au roi un décret qui condamnait, comme fausses et pernicieuses, vingt-sept propositions extraites de Milton, Buchanan, Knox, Baxter, etc. Cambridge s'empressa de se joindre à cette protestation'. -- Enfin, en 1756, William Lauder osa accuser Milton d'avoir copié le Paradis perdu dans Masenius, Staphorstius et Taubmannus, qu'il avait lui-même interpolés à dessein. Cette fois, l'Angleterre s'indigna; Lauder fut obligé de se dérober l'exil à la haine publique; il mourut en Amérique, pauvre et méprisé. Le souvenir de Milton était devenu pour sa patrie un objet de vénération, et, en 1757, un marbre consacré à sa mémoire fut placé dans l'abbaye de Westminster, entre les monuments des rois et des reines de la Grande-Bretagne,

par

-V. COLLIER, Ec

V. Gazette de Paris du 9 octobre 1683. clesiastical history, t. 2, p. 902.-Nous avons cité à l'Appendice ces deux pièces, qui forment une curieuse contrepartie à tout ce que la République avait enfanté d'idées libérales et généreuses.

VIII

RESUMÉ ET CONCLUSION.

Telle fut la vie, tels furent les ouvrages d'un des plus grands poëtes qui aient honoré l'Angleterre. La Biographie ne saurait fournir beaucoup de spectacles aussi majestueux que celui d'une vie si austère et si dévouéc, et, parmi les innombrables monuments de la littérature pamphlétaire, bien peu sans doute méritent d'être comparés à ces pamphlets de Milton, soit pour l'importance des idées qui y sont exprimées, soit pour le mérite du style. Quelques-uns des écrits composés dans ce genre au dix-huitième siècle offriront peut

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être plus de précision et de netteté; mais cette marche embarrassée d'une prose hérissée de citations, entrecoupée de longues parenthèses, et que déparent le faux goût et les subtilités théologiques, était encore en Angleterre, au temps de Milton, un défaut général; loin de l'en accuser lui-même, il faudrait au contraire admirer cet esprit indépendant, essayant de secouer les entraves du moyen-âge, et d'arriver, par un raisonnement plus libre et des formes plus dégagées que celles de presque tous ses contemporains, à la franche allure des compositions modernes. D'ailleurs de grandes et sérieuses qualités, originales chez Milton, rachètent cette apparente infériorité; une constante élévation d'âme, une continuelle émotion pour tout ce qui est grand et beau, de naïves aspirations vers Dieu, la Patrie, l'Éternité, de ferventes prières interrompant tout-à-coup le récit, une grande vigueur d'expression dans les emportements d'une indignation généreuse, infiniment d'esprit dans la peinture ironique des travers et des vices, le style majestueux et poétique de l'enthousiasme religieux, la légère et facile parole d'une libre conversation ou de la plus fine comédie, tous les mérites du pamphlétaire se retrouvent chez Milton.

Ses écrits politiques ne furent pas, il est vrai, suivis

immédiatement des résultats qu'ils devaient enfanter; une Restauration survint, qui étouffa, hommes et choses, une grande partie des ceuvres de la République; l'Église anglicane, malgré toutes les attaques, subsista avec tout son orgueil, la séparation des pouvoirs spirituel et temporel fut encore, et pour longtemps, ajournée, la Presse resta esclave et les Universités aveugles; mais de nouvelles et généreuses idées n'en avaient pas moins été mises au jour par Milton et les écrivains républicains; sous l'inspiration de l'esprit moderne, qui résidait en eux, leurs idées se firent jour avec une activité nouvelle après la Révolution de 1688, pour passer de là en France, et s'y traduire en de glo

rieuses réformes.

C'est la gloire de notre dix-huitième siècle d'avoir su dégager des ombres qui les voilaient encore ces premières lueurs d'une civilisation toute nouvelle ; mais, pour arriver à la découverte de la vérité, son point de départ fut la Raison, le sens universel. Milton, au contraire, part du sens particulier, toujours incertain et sujet à l'erreur. Placé à l'issue du moyen-âge, il en secoue, il est vrai, les préjugés, mais le système protestant l'enveloppe et l'embarrasse; séduit par cette apparente indépendance d'esprit qu'ont proclamée Luther et Calvin, il accepte leurs chaînes en

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