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délices de la chicane, des longues et vaines procédures, et dans l'espoir d'abondantes épices. Ceux-ci se consacrent aux affaires de l'État, et y apportent des âmes si dénuées de principes de vertus et de toute généreuse nourriture, que les flatteries des cours et les aphorismes de la tyrannie leur paraissent le plus haut degré de la sagesse; la sécheresse de cœur les livre à une servitude que j'aime mieux appeler consciencieuse que simulée; ceux-là enfin, d'un caractère plus enjoué, plus franc, plus ouvert, laissent là tout le bagage de l'école, et, ne connaissant rien de mieux que les jouissances d'une vie mondaine, passent toutes leurs journées en fêtes et divertissements, plus sages mille fois. que ceux qui se vouent aux professions sérieuses sans y apporter la plus haute et la plus exquise intégrité. Voilà les fruits de nos premières années perdues dans l'ennui des écoles et des Universités, à n'apprendre que des mots, ou bien des choses tellement futiles qu'elles valent moins que l'ignorance. »

Ce triste tableau de tant de jeunes âmes comprimées par la crainte ou l'ennui, et de tant de riches espérances dispersées et perdues au grand détriment de la patrie, affligeait, on le voit, autant qu'il indignait Milton; il a hâte de détourner la vue :

« Ne restons pas plus longtemps à montrer ce qu'il

faut éviter; je veux vous conduire tout droit sur une hauteur d'où nous découvrirons les véritables sentiers d'une vertueuse et noble éducation. La première montée est peut-être difficile; mais elle offre un aspect doux et riche, et l'on y entend de toutes parts de si suaves harmonies, que la lyre d'Orphée n'était pas plus ravissante1. J'en suis convaincu, si nos jeunes gens les moins intelligents et les plus paresseux, si nos bûches et nos blocs 2 avaient commencé par recevoir une si heureuse nourriture, il deviendrait beaucoup plus difficile de les arracher à ses délices, qu'il ne l'est aujourd'hui d'enlever nos meilleurs esprits aux ronces et aux chardons qu'on leur sert comme pâture. Je veux vous développer le plan d'une complète et généreuse éducation, qui rende l'homme capable de remplir avec probité, habileté et grandeur d'âme tous les emplois privés ou publics de la paix ou de la guerre. »

L'Institution que Milton veut élever est à-la-fois une École et une Université3. Les élèves de douze à vingt

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I shall..... conduct you to a hill-side, where I will point you out the right path of a virtuous and noble education; laborious indeed at the first ascent, but else so smooth, so green, so full of goodly prospect, and melodious sounds on every side, that the harp of Orpheus was no more charming..... Of Education, p. 99, col. 2.

2 Our stocks and stubs... Ibid.
Of Education, p. 99, col. 2.

et-un ans y feront toutes les études nécessaires pour arriver aux grades de Bachelier et de Maître-ès-arts. Elle doit contenir cent soixante personnes à-peu-près, « de manière à ce qu'on puisse former alternativement un bataillon de fantassins ou deux escadrons de cavalerie 1. »

Milton divise la journée, selon l'ordre naturel, en trois parties Etudes, Exercices et Régime diététique.

« Pour ce qui concerne les études, il faut commencer par bien apprendre aux enfants les élémens de la Grammaire latine. Surtout, pour leur rendre familiers les principes les plus usuels et leur inculquer en même temps l'amour de la vertu et la générosité d'âme, je voudrais qu'on lût et qu'on expliquât avec eux quelqu'un de ces faciles et délicieux livres d'éducation morale comme les Grecs savaient en faire. Il n'y aurait guère en latin que les deux ou trois premiers livres de Quintilien. On pourrait y ajouter les livres de Caton, de Varron et de Columelle sur l'agriculture; ce sujet, séduisant par lui-même, peut être mis à la portée des jeunes esprits, et les engager à cultiver cet art bienfai

1 This number, less or more thus collected, to the convenience of a foot company, or interchangeably two troops of cavalry... Of Education, p. 99, col. 2.

sant qui corrige les maux de la guerre. Sans attendre davantage, on pourrait enseigner aux enfants les éléments de l'Arithmétique et de la Géométrie, leur faire connaître les globes et les cartes géographiques, avec les noms anciens en regard des noms modernes, et leur lire enfin quelque court traité d'Histoire naturelle, mais tout cela en jouant, à la manière des vieux âges. »

Tous les soirs, dans l'intervalle du souper au coucher, leurs pensées doivent être nourries de la lecture de l'Histoire sainte et d'une explication simple et facile des dogmes fondamentaux de la religion. >>

« On pourra alors leur faire étudier le grec, en leur ouvrant de bonne heure d'aussi charmants livres que le Tableau de Cébès, quelques traités de Plutarque et certains dialogues socratiques, puis, quand ils auront vaincu les difficultés grammaticales, les traités d'Histoire naturelle d'Aristote et de Théophraste. Ils s'élèveront ainsi jusqu'à Vitruve, aux Questions naturelles de Sénèque, à Pomponius Mela, Celse, Pline ou Solin. »

<< Ainsi familiarisés avec les éléments des langues anciennes et des sciences, les jeunes gens avanceront de quelques pas. Les Mathématiques amèneront à l'étude de l'Architecture, du Génie, de la Mécanique, de la Navigation; l'Histoire naturelle à celle de l'Anatomie. Il est bon qu'ils sachent au besoin traiter une indiges

tion, car la société veut des corps florissants et vigoureux. Ils seront ainsi préparés à devenir au besoin chasseurs, oiseleurs, pêcheurs, bergers, jardiniers, apothicaires, architectes, ingénieurs, matelots, anatomistes. Toutes les connaissances qu'ils auront acquises en s'amusant, ils ne se plairont qu'à les augmenter, et liront dans tous ces poëtes difficiles pour les autres, Orphée, Hésiode, Théocrite, Aratus, Nicander, Oppien, Denys le Périégétique, Lucrèce, Manilius, et la partie agronomique de Virgile.

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« Pendant ce temps, les années et les bons préceptes auront développé en eux cette faculté que les moralistes appellent Proérèse ou Volonté ; ils auront acquis le jugement nécessaire pour discerner pleinement le bien et le mal; il conviendra donc de les faire pénétrer plus avant dans la connaissance de la vertu et dans la haine du vice. »

Milton veut alors que les élèves lisent les œuvres morales de Platon, de Xénophon, de Cicéron, de Plutarque, de Diogène Laërce, de Timée de Locres, quelques comédies et des tragédies d'un sujet domestique, comme Alceste, les Trachiniennes, le tout avec précaution, et qu'on les initie aux principes de la politique, de la législation et de la jurisprudence, tout en consacrant quelques heures à l'étude indispensable de l'hé

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