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ductions naturelles de ce principe, quand surtout sa parole est en même temps si ferme et si ardente, qui ne reconnaît la Vérité empruntant la bouche du poëte? C'est son éternel mérite d'avoir nettement compris et éloquemment exprimé comment l'intelligence humaine a pour seul devoir, qui contient tous les autres, d'élever la créature, par la dignité et la pureté morales, vers Dieu; comment la science et la culture désintéressée de l'esprit, en nous dégageant des erreurs, des préjugés, des fausses vues de la terre, nous aident à remplir cette mission, et comment, à ce titre surtout, elles deviennent, comme l'enseignement qui les communique et les encourage, de grandes et glorieuses choses.

Une fois ce but céleste assigné à l'éducation, on comprend que Milton voit tomber devant lui toutes les vulgaires objections faites bien souvent contre le genre d'éducation que doivent donner les Universités. La confusion que fait quelquefois le père de famille entre l'enseignement désintéressé qui cultive l'esprit et le cœur, et l'éducation professionnelle qui fera de son fils un riche mécanicien ou un habile architecte, cette confusion dangereuse, funeste aux individus comme à la patrie tout entière, n'existe plus pour qui aperçoit cette vraie lumière vers laquelle nous devons tous mar

cher; celui-là, loin de négliger de donner à ses enfants les connaissances pratiques sans lesquelles ils deviendraient d'oisifs et par conséquent de dangereux citoyens, ou tout au moins d'inutiles spéculateurs, nourrit d'abord en eux et purifie avec soin la flamme intérieure. Il sait que de ce foyer fécond naîtra cette ardeur de véritable religion et de vertu seule capable de nous élever à Dieu, et aussi ce zèle intelligent à accomplir le devoir de chaque jour et de chaque instant qui fait du même coup le plus patient, le plus habile ouvrier, et le plus pieux, le plus dévoué père de famille.

S'il est vrai enfin que le but de toute éducation soit le vrai bonheur, comment, dans un tel voyage, la route serait-elle si obscure et si pénible? En écartant loin d'elle l'étude, creuse et stérile, des mots, en mettant dans la main de l'élève le fil facile à suivre d'une amusante et enfantine analyse, Milton, comme on a pu le voir, a semé de fleurs cette montée rapide, il y a appelé << de si suaves harmonies, que la lyre d'Orphée n'était pas plus ravissante. »

En un mot, l'idée partout présente de Dieu nous appelant vers lui, la nécessité de fortifier l'esprit et le cœur de l'enfant et du jeune homme par une culture généreuse et désintéressée, le pressant conseil, j'allais dire l'instante prière, adressée à chaque maître, de ne

pas dessécher par l'ennui ces belles et fécondes années de l'enfance, un cœur enfin toujours ému et palpitant devant la grande pensée du devoir qu'il accomplit, voilà ce qu'on trouve dans le Traité de Milton, et ce qui le place au premier rang parmi les livres écrits sur un pareil sujet.

Peut-être, il est vrai, descendu dans les conseils pratiques, Milton accumule-t-il un trop grand nombre de connaissances et espère-t-il obtenir d'esprits non formés encore des fruits trop hâtifs. Lui-même, comme on sait, avait instruit ses neveux avec quelques autres jeunes gens, et l'un d'eux nous a conservé son singulier programme. Ils lisaient en latin : Caton, Varron, Columelle, Palladius, Cornelius Celsus le médecin, Pline-l'ancien, Vitruve, Frontin, Lucrèce et Manilius ; en grec: Hésiode, Aratus, Dionysius Afer, Oppien, Quintus Calaber, Apollonius de Rhodes, Plutarque, Xénophon, Polyen. Ils étudiaient l'hébreu, du chaldéen, du syriaque, les langues italienne et française, les mathématiques et l'astronomie; Milton enfin leur dictait lui-même et leur développait le dimanche un cours de théologie qu'il avait composé d'après les meilleurs écrivains de l'Allemagne... Que dire, si ce n'est que Milton est ici l'homme de son temps; républicain, prêt à sacrifier pour sa patrie le repos et les loisirs de

toute sa vie, descendu une fois déjà dans l'arène politique, prêt à y descendre encore malgré les périls qu'il prévoyait, Milton voulait que l'éducation préparât vite à la patrie des généraux et des capitaines bons tacticiens, des magistrats instruits et de bonne heure expérimentés, et de saints prédicateurs. Il presse de tous ses vœux l'avenir auquel ses espérances ont destiné les générations qui grandissent, et peut-être beaucoup d'esprits ne peuvent-ils pas le suivre.

Au reste, sans discuter pas à pas les différentes mesures dont il a tracé en quelques pages le rapide programme, léguons seulement à tous ceux qui enseignent les principes qu'il a posés. Pour qui croira fermement qu'instruire son semblable, c'est essayer de s'élever avec lui vers Dieu, que la science n'a de véritable prix que si elle nous fait faire dans cette route quelques pas; pour celui-là, s'il s'est lui-même préparé par de généreux et patients travaux et qu'il mette son cœur dans son enseignement, tous les programmes seront également bons, et ils se modifieront à l'empreinte de sa

vertu.

2o IL COMBAT LA CENSURE.

Examen de son pamphlet Sur la liberté de la presse, 1644.

Publié la même année que son Traité d'éducation, le pamphlet de Milton sur la liberté de la presse fut un second combat livré en faveur de la liberté de penser.

Dès l'origine, la presse, en Angleterre, avait été enchaînée par le despotisme des Tudors; la chambre étoilée, docile esclave d'une royauté inquiète, l'avait enlacée par d'innombrables restrictions; le nombre des imprimeurs avait été limité, et toute publication soumise à l'approbation de la censure. C'était suivre l'exemple de l'Italie, où le pape Sixte IV avait le premier soumis la presse au contrôle d'un inquisiteur d'État, et de l'Espagne, où le saint-office avait consommé l'œuvre. En France, on s'était aussi inquiété des progrès d'une puissance dont on ne soupçonnait pas encore toute l'énergie. François Ier avait commencé par faire du droit de publication un droit régulier; l'imprimerie, organisée en corporation, était devenue un privilége, et des censeurs royaux avaient été insti

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