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pour obtenir de Pluton , par cette offrande, plus longue vie ; cette Ameftris facrifie encore à cette infatiable divinité quatorze jeunes enfans des premières maifons de la Perfe, parce que les facrificateurs ont toujours fait entendre aux hommes qu'ils devaient offrir à l'autel ce qu'ils avaient de plus précieux. C'eft fur ce principe que chez quelques nations on immolait les premiers nés, & que chez d'autres on les rachetait par des offrandes plus utiles aux miniftres du facrifice. C'est ce qui autorifa fans doute en Europe la pratique de quelques fiècles de vouer les enfans au célibat dès l'âge de cinq ans, & d'emprisonner dans le cloître les frères du prince héritier comme on les égorge en Afie.

Tantôt c'est le fang le plus pur: n'y a-t-il pas des Indiens qui exercent l'hofpitalité envers tous les hommes, & qui fe font un mérite de tuer tout étranger vertueux & favant qui paffera chez eux, afin que fes vertus & fes talens leur demeurent? Tantôt c'eft le fang le plus facré chez la plupart des idolâtres, ce font les prêtres qui font la fonction des bourreaux à l'autel ; & chez les Sibériens on tue les prêtres, pour les envoyer prier dans l'autre monde à l'intention du peuple.

Mais voici d'autres fureurs & d'autres fpectacles. Toute l'Europe paffe en Afie par un chemin inondé du fang des Juifs qui s'égorgent de leurs propres mains pour ne pas tomber fous le fer de leurs ennemis. Cette épidémie dépeuple la moitié du monde habité; rois, pontifes, femmes, enfans & vieillards, tout cède au vertige facré qui fait égorger pendant deux fiècles des nations innombrables fur le

tombeau d'un Dieu de paix. C'eft alors qu'on vit des oracles menteurs, des ermites guerriers; les monarques dans les chaires & les prélats dans les camps; tous les états fe perdre dans une populace infenfée; les montagnes & les mers franchies; de légitimes poffeffions abandonnées pour voler à des conquêtes qui n'étaient plus la terre promise; les mœurs fe corrompre fous un ciel étranger; des princes, après avoir dépouillé leurs royaumes pour racheter un pays qui ne leur avait jamais appartenu, achever de les ruiner pour leur rançon perfonnelle; des milliers de foldats égarés fous plufieurs chefs, n'en reconnaître aucun, hâter leur défaite par la défection, & cette maladie ne finir que pour faire place à une contagion encore plus horrible.

Le même efprit de fanatifme entretenait la fureur des conquêtes éloignées à peine l'Europe avait réparé fes pertes, que la découverte d'un nouveau monde hâta la ruine du nôtre. A ce terrible mot : Allez & forcez, l'Amérique fut défolée & fes habitans exterminés ; l'Afrique & l'Europe s'épuifèrent en vain pour la repeupler, le poifon de l'or & du plaifir ayant énervé l'espèce, le monde fe trouva défert, & fut menacé de le devenir tous les jours davantage par les guerres continuelles qu'allumera fur notre continent l'ambition de s'étendre dans ces îles étrangères.

Comptons maintenant les milliers d'efclaves que le fanatifme a faits, foit en Afie, où l'incirconcifion était une tache d'infamie; foit en Afrique, où le nom de chrétien était un crime; foit en Amérique, où le prétexte du baptême étouffa l'humanité.

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Comptons les milliers d'hommes que l'on a vu périr ou fur les échafauds dans les fiècles de perfécution, ou dans les guerres civiles par la main de leurs concitoyens, ou de leurs propres mains par des macérations exceffives. Parcourons la furface de la terre, & après avoir vu d'un coup d'œil tant d'étendards déployés au nom de la religion, en Espagne contre les Maures, en France contre les Turcs, en Hongrie contre les Tartares, tant d'ordres militaires fondés pour convertir les infidelles à coups d'épées, s'entr'égorger aux pieds de l'autel qu'ils devaient défendre : détournons nos regards de ce tribunal affreux élevé fur le corps des innocens & des malheureux, pour juger les vivans comme DIEU jugera les morts, mais avec une balance bien différente.

En un mot, toutes les horreurs de quinze fiècles renouvelées plufieurs fois dans un feul, des peuples fans défense égorgés aux pieds des autels, des rois poignardés ou empoisonnés, un vaste Etat réduit à fa moitié par fes propres citoyens, la nation la plus belliqueufe & la plus pacifique divifée d'avec elle-même, le glaive tiré entre le fils & le père, des ufurpateurs, des tyrans, des bourreaux, des parricides & des facriléges violant toutes les conventions divines & humaines par efprit de religion voilà l'hiftoire du fanatifme & fes exploits. (1)

(1) Cet article eft tiré mot pour mot de l'article Fanatifme de l'Encyclopédie, , par M. Delegre, M. de Voltaire n'a fait ici que l'abréger & le mettre

dans un autre ordre.

SECTION I I.

SI cette expreffion tient encore à fon origine, ce

n'eft que par un filet bien mince.

Fanaticus était un titre honorable; il fignifiait deffervant ou bienfaiteur d'un temple. Les antiquaires, comme le dit le dictionnaire de Trévoux, ont retrouvé des infcriptions dans lefquelles des romains confidérables prenaient ce titre de fanaticus.

Dans la harangue de Cicéron pro domo fua, il y a un paffage où le mot fanaticus me paraît difficile à expliquer. Le séditieux & débauché Clodius qui avait fait exiler Cicéron pour avoir fauvé la république, non-feulement avait pillé & démoli les maifons de ce grand-homme; mais afin que Cicéron ne pût jamais rentrer dans fa maifon de Rome, il en avait confacré le terrain, & les prêtres y avaient bâti un temple à la Liberté, ou plutôt à l'Efclavage dans lequel Cefar, Pompée, Craffus & Clodius tenaient alors la république : tant la religion dans tous les temps a fervi à perfécuter les grands-hommes.

Lorfqu'enfin, dans un temps plus heureux, Cicéron fut rappelé, il plaida devant le peuple pour obtenir que le terrain de fa maison lui fût rendu, & qu'on la rebâtît aux frais du peuple romain. Voici comme il s'exprime dans fon plaidoyer contre Clodius.

Afpicite, pontifices, afpicite hominem religiofum, monete eum modum effe religionis nimium, effe fuperftitiofum, non oportere; quid tibi neceffe fuit anili fuperftitione, homo fanatice, facrificium quod alienæ domi fieret invisere?

Le mot fanaticus fignifie-t-il en cette place, infenfé

fanatique, impitoyable fanatique, abominable fanatique, comme on l'entend aujourd'hui ? ou bien fignifie-t-il pieux, confécrateur, homme religieux, dévot zélateur des temples? ce mot eft-il ici une injure ou une louange ironique? je n'en fais pas affez pour décider, mais je vais traduire.

"Regardez, pontifes, regardez cet homme reli"gieux, avertiffez-le que la religion même a fes ,, bornes, qu'il ne faut pas être fi fcrupuleux. Quel , befoin, vous confécrateur, vous fanatique, quel ,, befoin avez-vous de recourir à des fuperftitions " de vieille pour affifter à un facrifice qui fe fefait dans une maifon étrangère?",

Cicéron fait ici allufion aux mystères de la bonne déeffe, que Clodius avait profanés en fe gliffant déguifé en femme avec une vieille, pour entrer dans la maifon de Cefar, & pour y coucher avec sa femme : c'est donc ici évidemment une ironie.

Cicéron appelle Clodius homme religieux ; l'ironie doit donc être foutenue dans tout ce paffage. Il fe fert de termes honorables pour mieux faire fentir la honte de Clodius. Il me paraît donc qu'il emploie le mot fanatique comme un mot honorable, comme un mot qui emporte avec lui l'idée de confécrateur, de pieux, de zélé deffervant d'un temple.

On put depuis donner ce nom à ceux qui fe crurent infpirés par les Dieux.

Les Dieux à leur interprète

Ont fait un étrange don,
Ne peut-on être prophète
Sans qu'on perde la raison?

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