Page images
PDF
EPUB

possible, comme l'a fort bien démontré M. Laferrière dans l'introduction de son cours de droit public et administratif.

En fondant l'unité administrative, la révolution de 1789 allait créer le droit administratif. En effet, à partir de l'Assemblée constituante, des lois égales pour toute la France règlent les formes de l'administration; constituent, sur tout le territoire uniformément, l'organisation de la commune, du canton, de l'arrondissement, du département; établissent des juridictions administratives; posent, au sommet de l'administration publique, le Conseil d'État et la Cour des comptes; déterminent, dans une foule de circonstances, les conditions des relations du citoyen avec l'autorité. Les combinaisons de cette législation administrative, telles surtout qu'elles résultent des grands actes du Consulat et des compléments introduits depuis 1830, sont si puissantes, reposent si bien sur les besoins réels de la nation, qu'elles ont résisté aux révolutions qui ont bouleversé nos institutions politiques.

Mais ce grand et bel édifice du droit administratif n'a pu s'élever que successivement, et après plusieurs expériences; le système d'organisation générale a changé en 1791, en l'an II, en l'an VIII, en 1831; les lois sur l'action administrative sont intervenues au fur et à mesure que les intérêts des citoyens en ont démontré la nécessité; le Conseil d'Etat n'a été rétabli que sous le Consulat, la Cour des comptes, que sous l'Empire. Coordonner toutes ces lois et les décisions du Conseil d'Etat, tel a été le premier travail de la science; le classement et le rapprochement ont fait ressortir les caractères communs à des règlements ou à des solutions qui ne formaient ni un corps de droit, ni des traditions de jurisprudence. Ce premier service est dû à M. Macarel et à M. de Cormenin. M. de Gérando a formulé des principes; des ouvrages d'exposition systématique et raisonnée ont recommandé les noms de MM. Foucart, Chauveau, Dufour; l'élément historique et philosophique a pris plus de place dans le cours de M. Laferrière. Enfin, M. Vivien a ouvert plus largement la voie. Ses Etudes administratives, publiées d'abord isolées, puis réunies, et, en dernier lieu, disposées dans un ordre méthodique, sont une œuvre de publiciste autant que de jurisconsulte. Il ne se borne pas à exposer les institutions, à montrer leur origine, à signaler leur esprit ; il les examine, les discute, et cherche toujours, à côté de ce qui est, ce qui, selon lui, devrait être. C'est moins le jurisconsulte qui parle que l'homme d'État. Il n'entre point dans la combinaison

laborieuse des textes; il pénètre, à l'aide des résultats acquis, dans la sphère des principes. Qu'on ne croie pas toutefois que son procédé ait rien ni de l'obscurité des maximes abstraites, ni de la sécheresse des dissertations didactiques : jamais M. Vivien ne s'écarte du réel ni du possible; toujours il tient le langage net, clair, précis des bons écrivains et des éminents jurisconsultes de notre pays. Accessible à tous, son livre intéressera les gens du monde tout autant que les hommes de loi, et il n'y en a pas qui présente une initiation plus agréable et plus complète à la connaissance de notre droit administratif.

La manière dont M. Vivien entend et expose le droit devrait être celle de tous les jurisconsultes, et c'est à tort qu'il distingue entre le droit et la science, le droit réduit à ses textes et à ses formules, la science interrogeant, pour sa critique, les phénomènes sociaux, et empruntant ses exemples et ses règles à l'histoire, à la philosophie, à l'économie politique. Non, le droit n'est pas seulement la lettre de la loi, tourmentée par l'argumentation d'une aride dialectique : on ne sait, et on ne fait comprendre le droit qu'en déduisant la filiation historique de la loi, en démontrant sa raison d'être, ses principes, ses rapports avec l'état social, avec l'économie politique de la nation. Les jurisconsultes romains avaient celle haule idée de leur science; on en peut juger par l'ambitieuse définition qu'ils donnaient de la jurisprudence. Aujourd'hui, plus que jamais, aucune science ne peut s'isoler des autres; et c'est se donner une tâche à la fois inutile et impossible que de chercher à tracer des limites exclusives on peut s'en convaincre par la discussion sans résultat qui a récemment agité l'Institut au sujet de l'économie politique.

Un ouvrage aussi complet que celui de M. Vivien laisse voir mieux qu'aucun autre ce que la science du droit administratif a encore d'incomplet ou d'incertain. En voici un exemple. Les lois ont établi des juridictions spéciales pour statuer sur les difficultés qui s'élèvent entre les citoyens et l'administration publique. Eh bien! on demande encore maintenant s'il existe un contentieux administratif, c'est-à-dire tout un ordre de contestations réservées aux tribunaux administratifs, ou si ces tribunaux ne sont compétents que lorsqu'une loi spéciale leur confère attribution. Quelle lacune sur une question fondamentale! Un doute analogue se présente pour la juridiction des Conseils de préfecture; la science n'est pas fixée sur le point de savoir s'ils ne peuvent connaître que des

causes qui leur sont expressément déférées, ou s'ils sont généralement les juges de première instance de toutes les affaires administratives que des dispositions particulières ne confient pas à d'autres autorités.

M. Vivien débat ces questions, comme toutes celles qui constituent le droit administratif, avec la fermeté que donne le savoir uni à l'expérience; on reconnaît l'homme qui a dirigé les affaires publiques, en même temps qu'on trouve le jurisconsulte exercé, dans les judicieuses appréciations de l'auteur sur la centralisation, dont il fait l'éloge raisonné, tandis que d'autres n'ont su en faire que l'apothéose ou la satire, sur les complications inutiles et compromettantes de la bureaucratie, sur la décentralisation possible dans l'administration communale.

On ne saurait parler d'un pouvoir administratif qui s'applique à la plupart des intérêts du citoyen, sans toucher aux données et aux problèmes de l'économie politique; M. Vivien n'a pas fait défaut à cette partie de son sujet, qu'il embrasse sous tous ses aspects. L'économiste lira avec intérêt le chapitre où l'auteur traite du nombre des fonctionnaires publics, ses idées sur les règlements de l'industrie en général, et des théâtres en particulier. Nulle part il ne trouvera mieux marquée la part qui doit être faite à la loi, et celle qui doit être laissée à la liberté en fait d'industrie. M. Vivien admet l'intervention de l'autorité et du règlement pour la protection de l'enfance, pour la répression des abus, pour la garantie de la salubrité, mais jamais pour la fixation du salaire ou des conditions du travail. Il repousse, avec une sagacité prophétique (car c'est en 1846 qu'il parlait ainsi pour la première fois), la fausse et périlleuse prétention d'organiser le travail et de limiter la concurrence, déplorable théorie qui tue la liberté, et avec elle la dignité, l'activité de l'homme, et qui, sous prétexte de remédier à un mal industriel, anéantit l'industrie elle-même. Cette funeste doctrine a fait ses preuves; elle est jugée par les ruines qu'elle a causées. La liberté du travail, combinée avec de sages règlements de police, guidée par le sentiment du devoir et de l'équité, épurée par les inspirations de la charité chrétienne, tels sont les grands principes que le dix-neuvième siècle a reçus de la révolution de 1789, et que sa mission est de féconder, en les modifiant dans leur application sans les altérer dans leur essence. A. GRÜN,

Ancien rédacteur en chef du Moniteur universel,

archiviste do la Couronne.

PRÉCIS DE L'ANgien droit couTUMIER FRANÇAIS, par M. Charles Paris, A. Durand, libraire, 5, rue des

GIBAUD, membre de l'Institut.

Grès. 1852, grand in-8° de 84 pages. Prix, 3 fr.

M. Giraud est surtout connu dans l'Europe savante par de grands travaux historiques de droit romain et de droit français, où l'érudition, à raison même du sujet et des questions traitées, occupe une large place. Tous ceux qui se livrent à des études historico-juridiques savent combien cette érudition, en même temps qu'elle est vaste, est sûre et de bon aloi. Si ce n'est pas le seul mérite des œuvres de M. Giraud, nous le reconnaissons volontiers, c'en est un qu'il n'est pas possible de leur contester, et qui dislingue, entre tous les travaux modernes, son Histoire du droit romain, ses Recherches sur le droit de propriété, son Essai sur l'histoire du droit français au moyen age (qui ne contient pas du tout, comme on l'a dit, une esquisse des origines du droit français, mais où sont traitées avec étendue toutes les questions se rattachant à ces origines), plusieurs études historiques sur la loi 0conia, sur les nexi, etc., etc.

L'ouvrage que nous annonçons aujourd'hui ne se fait pas remarquer par l'érudition, elle en est même complétement bannie; mais, si elle n'y apparaît pas, ce précis la suppose. C'est, en effet, ún résumé complet et méthodique du droit coutumier dans son dernier état et à la veille de la révolution de 1789, et par suite le résultat de travaux et de recherches considérables.

Le plan suivi par l'auteur est, à peu de choses près, celui du Code civil qui avait été déjà adopté, comme il en fait l'observation, par la plupart de nos auteurs anciens et par plusieurs de nos coutumes. Ainsi, le livre Ier traite des personnes, et, sous cette rubrique, de celles qui sont privées ou jouissent des droils civils, c'est-à-dire des personnes de condition servile, des aubains, des bâtards, des nobles; puis, de la puissance paternelle, de la garde noble et bourgeoise, du mariage et de la puissance maritale, de la tutelle et de la curatelle, du domicile. Le livre II traite des biens et des différentes modifications de la propriété, de la division des biens, des fiefs et de tous les droits qui s'y rattachent, du francalleu, des propres, des servitudes. Enfin, le livre III est consacré aux successions, au contrat de mariage, au gage et à l'hypothèque, aux retrails conventionnel et lignager; enfin, à la prescription.

Cet aperçu sommaire du contenu de cet ouvrage en fera comprendre toute l'utilité, utilité plus grande peut-être que celle de

travaux considérables, car il s'adresse à un plus grand nombre de lecteurs. Pour les étudiants il forme une excellente introduction à l'étude de notre Code civil. Pour ceux qui se sont déjà occupés de cette partie de notre ancien droit, il leur rappelle, en les résumant, leurs recherches et leurs travaux. Indocti discant et ament meminisse periti, pouvons-nous dire de lui.

Comme nous l'avons déjà fait observer, on ne trouve dans ce précis ni discussion, ni citation de texte, mais une simple exposition. Nous devons ajouter que cette exposition se fait remarquer par les qualités essentielles de ce genre de travaux, la clarté et l'exactitude, et c'est ce qui nous confirme encore plus dans la pensée que nous avons déjà exprimée que, joint à un autre précis du même genre sur le droit des pays de droit écrit et une courte préface historique, le précis du droit coutumier formerait une excellente introduction à l'étude du Code civil, d'autant meilleure que nul n'est plus apte que M. Giraud à la faire. La partie que nous en avons sous les yeux en est la preuve.

C. GINOULHIAC.

TRAITÉ DU DOL ET DE LA FRAUDE EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE, par J. BEDARRIDE, avocat à la Cour impériale d'Aix, ancien bâtonnier. 3 vol. in-8. - Paris, A. Du ind; Aix, Aubin, 1852. Prix, 24 fr.

Un jurisconsulte du Midi, qui a fait paraître en 1844 un commentaire estimé sur la loi du 28 mai 1828, concernant les faillites et banqueroutes, vient de nous donner un traité sur le dol, la fraude et la simulation.

Une longue expérience des affaires et de nombreuses recherches ont permis à M. Bedarride de déterminer les bases légales sur lesquelles doit s'appuyer, dans ces matières si difficiles, l'appréciation des magistrats. Nous regrettons de ne pouvoir analyser complétement ce travail, dont nous avons déjà eu occasion d'indiquer ailleurs l'utilité et l'importance. Nous nous bornerons à signaler l'ensemble des études de M. Bedarride, et à indiquer le plan qu'il a adopté dans son ouvrage.

Le premier volume est plus spécialement consacré au dol, le second à la fraude, le troisième aux simulations.

Le dol est omnis calliditas, fallacia, machinatio, ad circumveniendum, fallendum, decipiendum alterum, adhibita. Pour qu'il y ait dol, il faut que les manœuvres employées aient été de

« PreviousContinue »