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textes du droit romain et du Code Napoléon. L'auteur ne s'est pas, en effet, contenté d'exposer des principes généraux, il a étudié son sujet dans tous ses détails, il a expliqué tous les textes qui s'y rapportent, et plusieurs des explications qu'il en a données méritent de fixer l'attention. En droit romain, nous signalerons l'interprétation de la loi 6, D., De compensationibus : « Etiam quod natura debetur venit in compensationem. » Ce texte d'Ulpien est général; mais il produirait dans sa généralité des résultats tellement iniques, au moins dans le sens qu'on lui avait donné jusqu'ici, que la plupart des auteurs ont cru devoir le restreindre dans son application, les uns le déclarant applicable seulement à certaines espèces d'obligations naturelles, les autres le déclarant inapplicable tout au moins à quelques-unes d'entre elles.

M. Massol a suivi un procédé d'interprétation moins arbitraire; remontant, au moyen de l'ouvrage d'Ulpien, dans lequel ce fragment a été puisé (lib. XXX, Ad Sabinum) jusqu'à son origine, il a pensé qu'il n'y était question que de la compensation ex eadem causa, la seule qui fût admise du temps du jurisconsulte Sabinus, dont Ulpien a pu, dans son commentaire, se borner à reproduire l'opinion. Ainsi entendu de la compensation ex eadem causa, qui se confond avec la rétention, c'est-à-dire du cas où, à l'occasion d'un même contrat, vente, société, etc., les deux parties sont respectivement créancières et débitrices l'une de l'autre, non-seulement notre texte n'a pas les inconvénients qu'on redoute de son application, mais il produit des résultats conformes à l'équité. Si l'incapable s'oblige à l'égard de celui qui est civilement son débiteur ou celui de son auteur, il ne pourra plus être privé de ses droits anciens, et s'il s'oblige par un contrat à l'égard d'une autre personne, il ne pourra plus réclamer contre son cocontractant l'exécution d'un engagement sans être tenu de l'exécuter lui-même.

Nous mentionnerons encore, parmi les nouvelles interprétations de textes données par M. Massol, celle du fameux paragraphe 4 de la loi 16. D., De fidejussoribus, quoique nous ne croyions pas devoir l'admettre, de même que nous n'admettons pas quelques-unes des théories que l'auteur a exposées à l'occasion de l'obligation naturelle, notamment celle concernant l'erreur de droit.

En droit français, nous signalerons d'abord ce que dit M. Massol des sources de l'obligation naturelle en droit français. Là, en effet, il indique une différence considérable entre les deux législations qu'il met en rapport, notamment celle qui résulte de l'inexistence des pactes dans notre droit comme distincts des contrats.

Nous signalerons ensuite l'explication de l'article 2225, au moyen de la distinction de l'obligation naturelle et de l'obligation de conscience. Lorsque le débiteur acquitte cette dernière, il fait une libéralité que les créanciers, au préjudice desquels elle a été faite, peuvent faire rescinder. Or, la prescription qui anéantit l'obligation civile et l'obligation naturelle étant accomplie, il ne reste plus que l'obligation de conscience.

Parmi les questions intéressantes qui se rapportent à son su jet, M. Massol traite encore celle de savoir si, en matière de cession d'offices, les contre-lettres produisent une obligation naturelle, et il la résout négativement; mais il se demande si ces contre-lettres ne produisent pas tout au moins une obligation de conscience, et, contrairement à la jurisprudence, il soutient l'affirmative. Comme l'obligation de conscience n'a que des effets volontaires et que son exécution est une libéralité, selon l'auteur, il paraît difficile de critiquer sa solution sous ce rapport. Par quel motif, en effet, annulerait-on une libéralité qui a eu lieu entre personnes civilement capables de donner et de recevoir ? Mais il pourrait rester quelques doutes sur le point de savoir si une obligation de conscience peut naître d'un acte que les lois réprouvent et qui paraît même contraire à l'ordre public; à cela M. Massol répond en faisant une distinction entre les lois et l'ordre public qui tiennent à la constitution politique d'une part, et les lois et l'ordre public qui tiennent à l'ordre moral, aux bonnes mœurs d'une autre part, et, s'il n'admet pas qu'il puisse exister d'obligation de conscience contrairement à ces dernières, il pense qu'elle peut exister malgré les dispositions des lois qui sont purement de l'ordre politique, et il range avec raison parmi ces lois celles qui concernent la cession des offices. Comme conséquence de cette distinction, M. Massol reconnaît aussi que les lois révolutionnaires qui ont supprimé sans indemnité les rentes féodales créées pour prix du transport de la propriété, et permis la vente des domaines nationaux moyennant un faible prix, en

éteignant l'obligation civile et même naturelle, n'avaient pas pu éteindre également l'obligation de conscience des acquéreurs.

Par ce que nous avons dit du nouvel ouvrage de M. Massol, et malgré les lacunes de notre appréciation, on peut juger du soin avec lequel il a traité la délicate matière qu'il avait choisie pour sujet de son travail, la distribuant avec méthode et ne laissant de côté aucune des questions intéressantes, même au point de vue pratique, qui s'y rattachent dans l'un ou l'autre droit, et l'on peut juger aussi des théories nouvelles dont il a enrichi la science. De semblables travaux n'ont pas besoin d'être recommandés il leur suffit d'être signalés à l'attention des jurisconsultes. C. GINOULHIAC.

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Cours de Code Napoléon, par M. DEMOLOMBE, doyen de la Faculté de droit de Caen (tome XIII. Traité des successions, t. I et II). Paris, A. Durand, libraire, rue des Grès, 7'. Prix de chaque volume, 8 fr.

Voilà douze années que nous suivons, avec autant de profit que d'intérêt, la publication vraiment monumentale de M le doyen Demolombe sur le Code Napoléon. La suite non interrompue de ses divers traités et la liaison qui les unit entre eux en forment une œuvre pleine d'unité, et la lecture trouve ainsi un altrait constant dans cette harmonie des différentes parties de l'ouvrage et dans l'enchaînement des principes. Un volume rend impatient de recevoir celui qui doit le suivre, et le fond de doctrine qui anime les nombreux détails du sujet fait oublier, par sa substantielle richesse, les proportions peut-être trop étendues de l'ensemble du Cours complet.

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Le tome XIII, qui ouvre la série des traités sur le livre III du Code civil, comprend l'explication des articles 711 à 755, et forme le premier des trois volumes que l'auteur se propose de consacrer à la matière si importante des successions. Ce tome est conforme à ses aînés sous le rapport de la disposition des matières, du nombre des détails qui sont tour à tour examinés, de l'exposition des controverses avec leurs éléments et autorités diverses jusqu'aux plus récentes, et enfin jusqu'à la forme de la

La publication de cet article, composé depuis longtemps, a été retardée par des circonstances imprévues.

discussion, qui est invariablement la même dans toute la suite des ouvrages de M. Demolombe: texte, esprit de la loi, arguments historiques sont successivement mis en œuvre, et il est péu de solutions qui ne soient amenées par un syllogisme en forme, avec ses trois propositions classiques. Nous n'avons donc rien de spécial à dire sur ce volume, en ce qui regarde co que nous appellerons sa physionomie extérieure : mêmes qualités, et peut-être, le dirons-nous? mêmes imperfections que dans les précédents; nous doutons, pour notre part, de la nécessité de si amples détails, auxquels s'arrête notre savant collègue, et si on ne peut jamais faire à ses discussions le reproche de manquer de clarté, on peut leur trouver quelquefois un peu trop d'étendue. Mais, hélas! pourquoi nous plaindre d'une abondance de richesses, et ne faut-il pas se réjouir plutôt de trouver ici une compensation à la pauvreté d'autres écrits et à leur stérile apparence?

M. Demolombe n'a rien changé à la grande division des chapitres du titre Des Successions dans le Code; il les a seulement subdivisés, même quand le législateur ne l'a pas fait lui-même, en autant de sections et d'articles qu'ils traitent de sujets véritablement divers. C'est à bon droit notamment que l'auteur a fondu ensemble les sections 4 et 5 du chapitre III, pour en faire quatre articles, où l'on distingue clairement: 1° la succession des frères et sœurs ou descendants d'eux, avec ou sans le concours des père et mère; 2o la succession des ascendants; 3° celle des collatéraux, autres que frères et sœurs ou leurs descendants; 4o la succession de l'ascendant donateur.

Nous ne pouvons signaler en détail tous les points qui ont captivé notre attention dans ce livre remarquable, et dont plusieurs ont toute notre adhésion; nous n'en indiquerons que quelques-uns. La matière des présomptions de survie est l'une des premières qui se présentent; le savant professeur y rectifie bien des préjugés et des fausses applications. Mais la partie relative à la saisine héréditaire est surtout remarquable dans la première partie du livre qui nous occupe son caractère d'institution quasi-publique, son effet individuel et successif, sa vraie portée quant à la transmission de la possession et à l'exercice actif ou passif des actions héréditaires, sans avoir trait à l'acquisition ellemême du droit successif, etc., etc.; tout cela est nettement ex

posé, et nous sommes heureux de pouvoir désormais, sur tous ces points, confirmer et autoriser notre enseignement par la citation d'un nom aussi considérable que celui de M. Demolombe. Ses développements relatifs aux droits des étrangers, en matière de succession, ainsi que l'explication spéciale de la loi du 14 juillet 1819, dont la portée est si mal indiquée par son intitulé et qui acquiert tous les jours plus d'importance, fournissent de précieuses lumières.

Nous ne pouvons non plus nous empêcher de signaler l'étude complète sur l'indignité et ses effets, celle où les règles de la représentation sont tracées avec la plus grande netteté, et l'exposé historique des divers systèmes de successions qui ont été en vigueur en France avant le Code Napoléon. L'article 747, sur le droit de l'ascendant donateur, à donné matière à l'auteur de présenter un très-bon travail d'ensemble à ce sujet, et, si toutes ses opinions n'ont pas eu notre assentiment spontané, il est certains points sur lesquels nous ne refuserons peut-être pas, après un nouvel examen, de modifier quelques-unes de nos doctrines.

Mais nous ne pouvons pas encore en dire autant pour l'obligation des dettes ultrà vires, que M. Demolombe fait supporter, à moins d'acceptation bénéficiaire, aux successeurs irréguliers et, d'après son avis annoncé et déduit d'une théorie générale, au légataire universel non saisi, ou même au légataire à titre universel. La base philosophique de l'obligation ultrà vires nous paraît si exorbitante du droit commun, que nous préférons restreindre plutôt qu'étendre les textes qui la consacrent. Nous avons trouvé une perplexité de doctrine qui n'est pas habituelle à notre honoré collègue, quand il cherche à déterminer les droits des cohéritiers ou des héritiers subséquents d'un successible qui s'abstient. La question de la poursuite en indignité, intentée après la mort de celui qui l'a encourue, est fort habilement traitée; mais la solution affirmative que lui donne M. Demolombe ne nous a pas encore convaincu.

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Bornons à ces aperçus, bien inférieurs à ce que mérite un tel ouvrage, les observations qu'il nous a suggérées, et faisons des vœux pour sa prochaine et complète continuation. Les grandioses proportions de l'édifice qu'élève le savant auteur à la gloire de notre Code nous feraient craindre de voir un trop long éspace de temps et de date entré lé commencement et la fin. Il

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