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TYPOGRAPHIE HENNUYER, RUE DU BOULEVARD, 7. BATIGNOLLES.

Boulevard extérieur de Paris.

BIBLIOGRAPHIQUE

ET CRITIQUE

DE DROIT FRANÇAIS

ET ÉTRANGER.

PREMIÈRE PARTIE.

OUVRAGES FRANÇAIS.

De l'obligation naturelle en droit romain et en droit français, par M. MASSOL (de M.), professeur de droit romain à la Faculté de Toulouse, membre de l'ordre de Grégoire le Grand.— Paris, Auguste Durand, libraire, rue des Grès-Sorbonne, 7; 1858, in-8. Prix : 5 fr.

Parmi les théories de droit civil, il n'en est pas de plus importantes que celles qui sont relatives aux obligations. C'est en cette matière surtout que se révèle la profonde raison juridique, la civilis prudentia des jurisconsultes romains, qui assure à leurs travaux une autorité qui ne saurait pas plus périr que celle de la raison elle-même, et dont notre Code offre le reflet. Mais les théories des jurisconsultes romains sont aujourd'hui d'autant plus difficiles à bien comprendre et à exposer que nous ne possédons que des fragments de leurs œuvres, mêlés les uns aux autres. C'est donc un véritable travail de reconstruction qu'il faut accomplir au moyen de matériaux disséminés çà et là, au prix de patientes recherches et de consciencieuses investigations; et c'est pour cela qu'après plus de trois siècles d'efforts et de travaux de la part des plus habiles interprètes du droit romain, l'é

tude attentive des textes peut fournir et fournira longtemps encore des résultats nouveaux pour la science. Les beaux travaux de M. de Savigny, qui lui ont assuré la première place parmi nos jurisconsultes modernes, en sont la preuve. Il n'est pas, sans doute, donné à tout le monde d'avoir de ces aperçus originaux, de ces théories qui font révolution dans le domaine de la science, et la tâche du plus grand nombre se borne à vulgariser et à répandre; mais il est aussi donné à quelques-uns de découvrir, et ce sont assurément ceux-là qui contribuent le plus au progrès scientifique.

Ces réflexions nous ont été inspirées par la lecture du livre de M. Massol, qui révèle tout à la fois de la part de son auteur et une profonde étude des textes du droit romain et un esprit original qui a su faire sortir de cette étude une théorie vraiment nouvelle de l'obligation naturelle en droit romain et en droit français. M. Massol ne s'est pas borné, en effet, à faire du droit romain; comme les principes de ce droit lui ont paru être ceux de la raison elle-même, il a cru les retrouver dans notre droit actuel, et, suivant en cela l'exemple du plus grand romaniste de notre siècle, il a mis en rapport les deux législations ancienne et moderne.

La difficulté que présentent les textes du droit romain en cette matière, pour former de leurs dispositions un tout homogène, est telle, que plusieurs ont déclaré toute théorie générale sur l'obligation naturelle en droit romain impossible, et que, parmi les théories formulées, il n'en est pas de complétement satisfai

sante.

C'est en cet état de la science que M. Massol a exposé la théorie suivante de l'obligation naturelle en droit romain et en droit français.

L'obligation naturelle est, selon lui, une obligation civile imparfaite, qui tient le milieu entre l'obligation civile proprement dite et l'obligation de conscience, se rapprochant pourtant plus de la première que de la seconde.

Ainsi l'obligation naturelle fait partie des biens du créancier et constitue un droit en sa faveur, de telle sorte que le payement qui en est fait est réputé l'acquittement d'une dette et non une libéralité. L'obligation naturelle opère malgré la volonté du débiteur, et elle produit tous les effets de l'obligation civile, autres

que l'action et la compensation. Mais, comme l'obligation civile, elle est éteinte par l'effet de la prescription et de la chose jugée.

Au contraire, l'obligation de conscience ne fait pas partie des biens du créancier, le payement qui est effectué est une véritable libéralité de la part du débiteur, et elle ne produit que des effets volontaires de la part de ce dernier. Les deux effets qui en résultent sont de servir de cause à une obligation civile et d'empêcher la répétition de ce qui a été payé. Mais si cette obligation ne produit pas d'autres effets, elle n'est pas, d'un autre côté, soumise aux mêmes modes d'extinction que l'obligation civile et l'obligation naturelle, tels que la prescription et l'autorité de la chose jugée.

Telle est la distinction qui sert de base au système de M. Massol, et au moyen de laquelle il explique tous les textes du droit romain et du droit français qui se réfèrent à cette matière; mais cette distinction est-elle fondée elle-même sur ces textes?

En droit romain, il nous paraît difficile de le nier. Ainsi il est incontestable, d'une part, que l'obligation de conscience, sous un nom ou sous un autre, était reconnue par les jurisconsultes romains et qu'elle empêchait la répétition de ce qui avait été volontairement payé (pietatis causa, pietatis respectu); M. Massol cite, à ce sujet, divers exemples: les fragments 32, § 2; 26, § 12, D. De condictione indebiti, 14, § 7, D. De religiosis, 27, § 1, D. De negotiis gestis, et les lois 34, Cod., eod., et 17, Cod., De Postliminio; et, d'une autre part, il est incontestable que cette obligation n'est pas une obligation naturelle : « Cette prétendue obligation, dit, en effet, M. Massol, pourrait-elle être garantie par la fidéjussion et le gage? Ceux même qui voient en elle un lien naturel sont forcés de répondre négativement; par conséquent, cette obligation, ne produisant pas tous les effets de l'obligation naturelle, ne mérite pas cette qualification. » (V. p. 37.) Il faut donc nécessairement admettre, à côté de l'obligation naturelle proprement dite, une autre obligation qui en est distincte, ou bien admettre plusieurs espèces d'obligations naturelles, dont chacune produirait des effets différents, ce qui, sous un autre nom, reviendrait au même.

On pourrait, il est vrai, faire au système de M. Massol une objection ainsi formulée si le payement, dans une obligation de conscience, est une libéralité, et si ce qui a été payé par er

reur de droit est sujet à répétition, comme le prétend M. Massol, on ne voit pas à quel titre on pourrait retenir ce qui a été payé par le débiteur, mais par le débiteur qui se trompait, qui croyait devoir et qui n'avait pas l'intention de donner. Mais on peut répóndre, avec M. Massol, que la répétition de l'indu, la condictio indebiti, n'est admise en droit romain qu'autant qu'il n'existe pour celui qui a payé aucun motif de payer. S'il existe un motif, quoique ce ne soit pas celui qui a en réalité engagé le débiteur à payer, il n'y a pas lieu à répétition, malgré l'erreur de droit. C'est ce que prouvent les deux fragments 32, § 2; 26, § 12, D. De condictione indebiti, où il est question d'individus payant par erreur, et à l'égard desquels cependant la répétition n'est pas admise.

En droit français, l'exactitude de cette distinction n'est peutêtre pas aussi clairement établie. Elle ne trouve pas un appui bien sûr dans les textes, et si l'on remonte à leur source, on ne voit pas que nos anciens jurisconsultes, Pothier notamment, et es rédacteurs du Code Napoléon aient distingué l'une de l'autre l'obligation naturelle et l'obligation de conscience.

Toutefois, si l'on n'admet pas cette distinction, il faut ou bien assimiler complétement l'obligation naturelle à l'obligation de conscience et ne pas lui attribuer d'autres effets que ceux que M. Massol reconnaît à cette dernière, ou bien faire produire à l'obligation de conscience tous les effets de l'obligation naturelle. Or, ni l'une ni l'autre de ces opinions n'est admissible, car il est certain, d'une part, qu'une obligation naturelle produit d'autres effets qu'empêcher la répétition de ce qui a été payé ou servir de causé à une obligation civile, et, d'autre part, que l'obligation de conscience ne les produit pas, par exemple, ne peut pas être cautionnée. Ainsi, à défaut de textes, la nature des choses exigerait elle-même cette distinction, qui est conforme aux principes de l'équité : ce « retour à la loi (ou plutôt à la raison) naturelle, comme l'appellent les rédacteurs de nos Codes, dans le silence, l'obscurité ou l'opposition des lois positives » (Discours prél. du Code civil), et qui conséquemment, aucun texte ne lui étant contraire, nous semble parfaitement fondée, aussi biendans notre droit que dans le droit romain.

Telle est la théorie nouvelle de M. Massol, qui lui a servi, nous l'avons déjà fait observer, à l'interprétation de plusieurs

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