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The Duc d'Otrante to Lord Castlereagh.

Dresde, le ler Avril, 1816.

Mylord―J'ai eu l'honneur d'écrire à votre Seigneurie par duplicata, pour la prier de me faire autoriser à conduire mes enfants en Angleterre, pour leur éducation. Je désire qu'ils étudient les mœurs, les loix, et les moyens de prospérité de

votre nation.

Ceux qui voyagent pour s'éclairer laissent ordinairement dans les pays qu'ils parcourent de bons exemples en échange des lumières qu'ils rapportent. Votre Gouvernement ne trouvera donc aucun inconvénient à nous accorder les passeports qui nous sont nécessaires. Votre Seigneurie m'obligera en voulant bien se donner la peine de me les addresser à Dresde.

J'ai écrit au Lord Wellington une lettre importante sur les évènemens qui ont précedé et suivi le 20 Mars, 1815. Je ne veux pas que votre Seigneurie la connaisse par un autre que moi. Je profite du départ de M. Jackson pour vous la faire parvenir. Je la confie à votre discrétion et à votre amitié.

Je prie votre Seigneurie de recevoir l'assurance de ma haute considération. Il me seroit très agréable de vous offrir de vive voix l'expression de ma profonde reconnoissance.

[Enclosure.]

Le Duc d'OTRANTE.

Le Duc d'Otrante au Duc de Wellington.

Dresde, ler Fevrier. Mylord-Toutes les lettres qui m'arrivent de Paris me parlent de votre bienveillance pour moi. J'apprends de tous côtés que dans toutes les occasions vous rendez publiquement justice à mon administration. La reconnoissance m'entraine aujourd'hui au delà des bornes de l'expression ordinaire. Je comptois vous écrire quelques lignes de remercimens, et vous faire connoître quelques unes des causes secrètes de la haine de mes ennemis, pour ajouter, s'il étoit possible aux sentimens de votre éstime et de votre intérêt. Je n'ai pu m'arrêter;

mon ame avoit besoin de s'épancher; je vous ai écrit un volume. Daignez l'accueillir avec bonté, et le lire avec indulgence.

J'examinerai dans un autre moment la loi d'exil qu'on a rendue, et l'intention qu'on a eue de m'y comprendre sans oser articuler mon nom.

Il faut être dans un aveuglement profond pour espérer que le Roi, qui m'a placé dans une exception solemnelle et inviolable, ne fut pas révolté, si on lui présentoit à signer une ordonnance où mon nom seroit inscrit au nombre des exilés en vertu d'une loi qui ne m'a pas nommé.

Il m'est impossible de concilier dans mon esprit la lettre du Roi qui m'a appellé au Ministère de la Police, celle qui m'a nommé son Ministre à Dresde, les assurances qui la terminent, avec une ordonnance d'exil, signée de la même main. La postérité rechercheroit les causes de cette étrange contradiction; elle ne voudroit pas se persuader que des motifs qui n'ont pas empêché le Roi de me faire entrer dans son Conseil, et dans la plus grande étendue de sa confiance, au moment de danger, m'en eussent fait éloigner et bannir de ma patrie, quand on a cru le danger passé. Qui pourroit compter sur la sainteté des paroles royales, si les Chambres avoient le droit d'en suspendre et d'en annuler les effets? qui croiroit à la Constitution, si les Chambres pourroient exclure un de leur membres sans le juger, sans même prononcer son nom? Après une telle violation, où l'Europe trouveroit-elle un Gouvernement en France?

Le Duc d'OTRANTE.

A sa Seigneurie le Duc de Wellington.

Un législateur de l'antiquité et l'un des plus renommés par sa sagesse, Solon, après des longues agitations, au premier jour du retour de l'ordre, mit la reconciliation et la paix publique sous la garantie et sous la protection du Ciel; voilà, Mylord, l'exemple que je proposois au Roi d'imiter.

J'en

appelle à votre témoignage, dont le poids est autant l'attribut de votre caractère que celui de votre gloire.

Nos maux étoient profonds: il n'y avoit pas à se tromper sur les remèdes; notre salut, notre existence sociale en dépendoient; ma voix a été étouffée par le bruit des passions; les conseils de la modération ont été présentés comme un piége, et des insensés, dans l'égarement de leur raison, ont calomnié à la fois mon ministère sous la République, mon ministère sous Napoléon, et mon ministère sous Louis XVIII.

Il me répugneroit d'occuper l'Europe de ma longue et pénible administration, si elle, ne se lioit pas à la connoissance de la vérité. Je rétablirai les faits dans leur ordre et dans leur intégrité: plusieurs sont ignorés, d'autres ont été intervertis. Je publierai les pièces authentiques à l'appui; la moindre lacune en affoibliroit l'intérêt je dirai toutes les causes de nos grands évènemens; j'ai vu de près les ressorts secrets qui ont mis en jeu les passions. J'expliquerai les Révolutions qui ont fait passer la France de l'antique Monarchie à la République, de la République à l'Empire de Napoléon; et de cet Empire à la Royauté des Bourbons.

J'ai besoin de croire, en me livrant à ce travail très important, puisqu'il doit servir des matériaux à l'histoire qu'on voudra bien considérer comme une nouvelle preuve de mon amour pour la patrie.

Mais, Mylord, le tems fuit: je ne sais si les choses n'auront pas changé, lorsque mon mémoire sera composé. Je vais, en attendant, satisfaire à l'empressement de ceux qui désirent que j'éclaire l'opinion sur des circonstances qui me sont personnelles, et qui ont été étrangement dénaturées. Personne ne peut mieux que votre Seigneurie rendre justice à mes sentimens et à mes principes: ma conduite politique toute entière est sous ses yeux depuis le 15 Juin, jour où j'ai eu l'honneur de correspondre pour la première fois avec elle, jusqu'au moment où j'ai quitté Paris.

Je n'ignore pas, Mylord, que la justice que j'invoque m'est

solemnellement et complètement rendue par vous dans toutes les occasions: c'est pour cela même que je prends la liberté de vous adresser le compte que je vais rendre, afin que vous y puisiez de nouvelles armes pour me défendre. Je ne crains point de multiplier vos droits à ma reconnoissance, parceque je sens que j'ai dans le cœur de quoi les acquitter.

Les circonstances sur lesquelles on demande des éclaircissemens se rapportent.

1o. A la rentrée du Roi à Paris.

2o. À mon acceptation du Ministère de la Police.

3o. À l'Ordonnance du 24 Juillet, et à mon Administration. 4°. A ma Mission à Dresde, et aux causes, qui m'ont empêché d'entrer dans la Chambre des Députés.

SECTION I.

Je présidois le gouvernement de la France lorsque les armées des Puissances Alliées avançoient sur Paris. Napoléon avoit abdiqué, mais il étoit encore à l'Elysée; il demandoit à marcher comme Général à la tête de l'armée française. Cette offre ne pouvoit étre accueillie. Onze cent mille baionettes étrangères avoient pénétré de toutes parts sur notre territoire et nous n'avions pas cent mille hommes sous les

armes.

La retraite de l'armée fut donc résolue, et Napoléon fut invité à quitter la Malmaison, où il s'étoit retiré et à s'embarquer pour les États Unis. Mes instances à cet égard ont pu être mal jugées par lui; dans l'adversité l'ame s'ouvre facilement aux soupçons: je suis sûr au moins de n'en avoir mérité aucune. Je ne l'avois point servi à la manière des courtisans; je n'ai pas suivi leur exemple en l'abandonnant dans le malheur. Personne n'apprécioit mieux que moi la puissance de son génie, mais personne n'étoit plus convaincu que sa présence ne pouvoit plus que précipiter la France dans le dernier abîme de maux. Je le conjurai donc de quitter le Continent.

L'armée Francaise, pleine des souvenirs de sa gloire, ne calculoit pas le nombre de ses ennemis; elle bruloit du désir de les combattre; il n'y a que ceux qui comme vous, Mylord, connoissent sa valeur qui puissent apprécier le mérite de sa résignation dans sa retraite.

Dans la crise terrible où nous nous trouvions il étoit difficile de prendre un parti sans exciter de l'ombrage: on étoit très divisé en France sur le choix du Souverain qui devoit succéder à Napoléon. On craignait que le retour des Bourbons ne fut signalé par des réactions, par des vengeances. vengeances. On ne se persuadoit pas qu'une dynastie, qui avoit tant souffert de la Révolution la pardonnât sincèrement les maux qu'on redoutoit ne pouvoient être qu'imaginaires, mais ces sortes de maux ne sont que plus dangereux, car ils sont sans bornes et sans remèdes.

Tous ceux qui dans l'ordre civil et dans l'ordre militaire avoient acquis depuis vingt-cinq ans de la considération, de la fortune, et de la gloire, voyoient dans le rappel des Bourbons renaître leurs inquiétudes les plus cruelles et les plus sombres. Un parti voulait un Prince étranger, comme garantissant avec plus d'impartialité toutes les existences. Un autre parti faisoit des vœux pour la Régence; mais une régence qui auroit gouvernée au nom de l'épouse et du fils de Napoléon aurait trop fait croire que c'étoit Napoléon lui-même qui regnoit: cette idée exposoit la France et l'Europe à des alarmes réciproques.

Le nom du Duc d'Orléans étoit invoqué par une partie de l'opinion de France; le personnel de ce Prince, le souvenir de Jemappes et de quelques autres victoires de la République, auxquelles sa première jeunesse ne fut pas étrangère, un pacte social, entièrement nouveau, qu'il étoit naturel et facile de passer avec lui, son nom de Bourbon, qu'on ne pouvoit plus prononcer dans l'intérieur, et qui pouvoit servir avec avantage dans les transactions avec l'Europe-ces causes et d'autres encore se présentoient comme un repos à ceux qui ne vouloient pas les considérer comme un bonheur.

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