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D'autres invoquoient les principes de la légitimité; mais ils en faisoient une fausse application. Ce principe n'est qu'une loi politique propre à chaque nation où elle est adoptée. Elle est éminemment utile dans tous les pays, parcequ'elle y prévient les bouleversements; mais elle n'est pas une loi sous le rapport du droit des gens. La légitimité entre les Souverains ne vient que de la reconnoissance que l'on fait de chacun de ces Souverains: la guerre et la conquête annulent cette reconnoissance et par conséquent cette légitimité: le partage de la Pologne en est la preuve. Que Napoléon ait été légitime ou non (il l'étoit en effet, pour tout autre Souverain que Louis XVIII.) on ne l'auroit pas moins renversé. Dans les principes actuels de l'Europe, on seroit forcé de fair la guerre à celui des Souverains qui se conduiroit comme Napoléon. Il y a plus-le principe de la légitimité même, en le considérant comme simple loi politique du pays, admet des exceptions considérables Montesquieu établit qu'il peut survenir entre une dynastie et un peuple une telle incompatibilité qu'il devient nécessaire de changer cette loi pour sauver ce même pays.

Ma correspondance avec les Ministres des hautes Puissances et avec les Généraux de leurs armées sera imprimée à la suite de mon Mémoire. Elle montrera de qu'elle manière j'ai soutenu la dignité de la nation. Il y a eu nécessairement et à dessein diverses nuances dans les négociations: j'espérois que mes argumens acquerroient plus de force à chacune de mes demandes. Quelque désespérées que fussent les affaires, il y a des points subsidiaires, auxquels on peut se rattacher; car il y a divers degrés de malheur dans la perte de l'indépendance. On se fait une idée bien fausse de la position où je me suis trouvé, quand on me reproche de n'avoir pas défendu les droits de la nation à choisir son Prince, et à établir les conditions de son pouvoir. Ces deux questions ont été décidées par la force des choses: le présent n'étoit plus dans ma puisTout devenoit facile si, comme j'avois proposé, Napoléon eut abdiqué au Champ de Mai. Son abdication trop

sance.

tardive nous a placée sous le joug des évènemens: je me crois absous de toute reproche par la nécessité.

Le véritable point de la difficulté n'a pas été saisi; ceux qui vouloient écarter les Bourbons ont cru que le choix du Prince qui seroit appellé à regner sur la France n'etoit que d'un intérêt secondaire: on auroit du voir qu'il falloit envisager la question d'une autre manière.

On prétend que j'ai paralysé l'élan de l'armée: ceux qui ont cette opinion ne connoissent pas la disproportion de nos forces de nouveaux prodiges de courage n'auroient servi qu'à compromettre l'élite de nos légions, et nous exposerions la capitale à toutes les horreurs d'une invasion à main armée. J'ai

du m'arrêter devant le salut de l'État : le plus grand danger pour un pays est la dissolution de tous les liens sociaux ; elle engloutit à la fois la fortune publique et les fortunes privées, et ne laisse plus après elle ni espérance ni avenir.

Au milieu de tous les choix d'opinion, Louis XVIII. approchoit de Paris: il étoit proclamé partout où se trouvoient les armées étrangères: on put présumer dès lors que le même esprit reproduiroit le même phénomène dans la Capitale. Le Roi étoit à St. Denis, lorsque j'eus un premier entretien à Neuilly avec votre Seigneurie. Je ne cherchois point à atténuer les torts de ceux qui avoient trahi le trône. Mais à l'instant où ce trône se rétablissoit, je soutins qu'il étoit de l'intérêt du Roi de tout confondre dans un système, exactement suivi, de clémence et d'oubli ce qui est crime dans un état réglé peut n'être que délire dans un état de désordre. Plusieurs individus qu'on soupçonnoit de trahison n'avoient été qu'égarés dans la route où la crise les avoit engagés: la sagesse commandoit à leur égard beaucoup de circonspection: tant qu'un homme ne croit pas être sorti du devoir, il est possible de l'y faire rentrer.

Mylord, mes vues obtinrent votre approbation. Les idées de modération sembloient prendre plus de force quand vous en étiez l'organe. Dans les circonstances inouies et dans les postes éminents où nous étions placés, cet entretien devoit

influer puissamment sur les destinées peut-être éternelles de la France et de l'Europe.

Le lendemain je tins au Roi le même langage, lorsque j'eus l'honneur de le voir à St. Denis, et je lui remis une lettre dans laquelle je lui exprimai avec franchise ce qui me sembloit le plus propre à lui concilier tous les cœurs, à rallier tous les partis, et nous mettre en harmonie avec les principes et les désirs des Souverains. Ce Prince parut sensible à mon langage sincère: il comprit que nous avions besoin de calme, pour réunir tous les élémens de l'ordre dispersés par le tems et le malheur, qu'il falloit couvrir toutes les fautes d'une extrème bienveillance, et employer tous les moyens possibles d'ajouter à tous les sentiments de sincérité. Cette entrevue, que j'eus soin de faire connoître fit présager que nous touchions le terme de tous les torts et de toutes les dissentions; mais le peuple Français vouloit autre chose que présages: ce qui est positif peut seul garantir ce qui n'est pas.

SECTION II.

Quelques personnes me reprochent d'avoir accepté du Roi le Ministère de la Police. Sans doute, il y avoit plus de sûreté pour moi à me retirer des affaires après la capitulation; mais

il

y avoit plus de grandeur à faire tête aux évènements. Ceux qui avoient suivi le Roi dans l'adversité arrivoient avec des fortes préventions: ils étoient dans une cruelle erreur sur notre situation; le tems qui détruit tout n'avoit pas détruit leurs préjugés; plusieurs nous apportoient encore leur vielle routine pour de l'expérience. Le devoir le plus sacré dans ma position n'étoit-il pas d'aller au-devant de tous les nuages pour chercher à les dissiper? Y avoit-il trop de simplicité à espérer qu'en portant sur toute chose la lumière, j'adoucirois les ressentimens, je modérerais l'opinion des hommes les plus enivrés par leurs passions, j'assujéttirois tout le monde au devoir, je préviendrois la réaction? On soit bien où commencent les réactions; on ne soit pas où on les arrête. Du moins

la première ardeur de celle-ci s'est épuisée presque sur moi seul: elle ne s'est développée et étendue que depuis mon départ de Paris. Mon entrée dans les affaires étoit un acte de dévouement, un véritable sacrifice.

Pour un homme obscur et frivole un ministère peut avoir du charme, même dans le péril, parcequ'il ne l'apperçoit pas ; mais pour moi un ministère ne pouvoit plus être l'objet de mon ambition tout étoit embarras et danger. On a pu croire, en me voyant accepter le ministère, qu'après avoir honoré ma vie, je voulois illustrer ma mort. Si j'avois eu des intentions personnelles, j'aurais enflammé plutôt qu'éteint le noble courroux de l'armée; on ne m'eut pas vu frémir à l'idée des ruines et du sang, qui auroient couvert Paris...... Dans ce parti l'ambition avoit quelques chances; dans celui que j'ai pris, on ne peut voir que la résolution d'un homme de bien.

On comprend encore qu'une ambition vulgaire pourroit être satisfaite d'arriver au ministère à la condition de devenir l'instrument docile d'une faction; mais à la hauteur où ma conscience et l'estime publique m'ont placé, la première condition de mes services pourroit-elle être autre chose que l'intérêt national? Qu'on prenne la peine de relire ma lettre au Roi à St. Denis, au moment où j'acceptais le ministère-elle a été imprimée dans le Moniteur-ai-je composé avec mes principes? mon langage donne-t-il à un parti l'espoir que je le laisserai dominer en vainqueur?

Qu'on daigne juger les actes et les paroles de ma vie, non par la comparaison d'un tems à un autre, mais par ce qui se disoit et se faisoit à côté de moi dans le tems où j'ai parlé et agi. Si je n'ai pu maîtriser les évènemens, je suis sûr au moins d'avoir fait tous mes efforts pour diminuer la violence de leur cours. Ne m'a-t-on pas vu constamment entre les oppresseurs et les opprimés? Au reste, je ne veux pas me faire plus généreux que je ne suis: l'expérience m'a appris de bonne heure qu'on est plus souvent dans le malheur que dans la prospérité.

Je me trouve entre un parti qui me reproche d'avoir servi le Roi et un autre qui me fait un crime d'avoir servi Napoléon. Ce dernier parti ne se souvient plus qu'il le redoutoit d'autant moins que j'étois placé plus près de lui. À son retour de l'Isle d'Elbe, quel langage lui ai-je tenu? Je l'ai conjuré de ne pas flétrir la nation par des vaines amnisties, et je n'ai cessé de répéter qu'il devoit tout ignorer.

Ma carrière ministérielle n'a jamais prouvé qu'une chose, c'est que mes devoirs envers ma patrie ont toujours tenu le premier rang parmi mes devoirs. Je n'ai du qu'à la faveur de la nation d'être rappellé aux affaires sous les divers Gouvernemens qui se sont succédés et qui se sont perdus, j'ose le dire, pour avoir repoussé la vérité que j'avois le courage de mettre sous leurs yeux.

J'ai été confondu quand on m'a accusé d'avoir trompé le Roi sur l'amour de son peuple-quel excès de flatterie! oser dire à un Prince qui a des lumières qu'après vingt-cinq ans d'absence, il est devenu tout-à-coup l'objet de l'amour d'un peuple dont les générations tant de fois renouvellées ont été élevées dans des passions, des maximes, si opposées à l'amour des Bourbons! Quelle impudence de tenir ce langage, quand on a été témoin de ce qui s'est passé à l'entrée de Napoléon à Paris, revenant de l'Isle d'Elbe, quand les Bourbons n'ont pu trouver un seul refuge en France! Non, je ne méditois pas un parjure en invitant le Roi à calmer les esprits par l'idée de la securité. Il n'y avoit pas un autre moyen d'affermir l'État et de donner de la stabilité au trône. Le pardon étoit une partie de la justice. Qui peut ignorer aujourd'hui que les crises politiques ne sont point le résultat des combinaisons et l'œuvre de quelques individus, que tout est entraîné dans la sphère qu'elles agitent?

La tolérance excessive a des inconvénients, mais la complication des évènemens, la capitulation qui venoit être signée, pourroient-elles comporter un autre système? Toute mesure de rigueur après les proclamations du Roi paroissoit fausser sa

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