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commande encore, et le Parangon, de 200 tonneaux, l'Unité, de 160, l'Addisson, de 120, augmentent le nombre de ses prises dans les divers engagements qu'ils avaient eu à soutenir, nos corsaires trouvèrent à acquérir à la fois de la gloire et du profit.

En 1807, Altazin continua le cours de ses succès. En février, le James, de 150 tonneaux, chargé de houille, et l'Expériment, de la même capacité, portant une quantité considérable de salaisons, amenèrent pour l'Etoile: malheureusement, la mer arracha à Altazin ce que la victoire lui avait donné; ces deux prises furent englouties dans la terrible tempête du 18 février. En mars, Altazin après une chasse qui démontra au John Niebolson, brick de 150 tonneaux, l'impossibilité de résister à nos marins, força ce navire à s'échouer près de Gravelines; quelques jours après, le 16 mars, il s'emparait du brick le Blessing, de 160 tonneaux; le mois suivant, il ramenait à Boulogne le Testimony Reward, trois-mâts de 250 tonneaux, dont la modeste cargaison de terre de pipe, destinée pour Londres, fut employée à l'usage des fumeurs français, et produisit aux armateurs de l'Etoile et à ses corsaires une somme assez ronde.

Altazin quitta alors le commandement de l'Etoile, et celle-ci repassa de nouveau sous le commandement d'un des plus braves et des plus redoutables loups de mer boulonnais, qui ne lui fit point démentir son honorable passé, Jacques Fourmentin, baron Bucaille, dont je vais avoir bientôt à retracer la glorieuse carrière maritime.

FIRMIN AUCOING.

Firmin Aucoing est souvent classé par le Moniteur au nombre des corsaires calaisiens, sous le nom de Firmin Aucointe, en sa qualité de capitaine du corsaire le Poisson volant, qui appartenait réellement au port de Dunkerque. J'ai fait connaître dans le volume précédent (1) les succès d'Aucoing, succès dont Boulogne fut, du reste, le premier témoin, puisque le 10 germinal an VII il y avait conduit la prise auglaise le Rover. Je ne note ici Aucoing que pour mémoire, et afin d'avoir l'occasion de constater en passant que le Poisson volant fut, intérimairement, commandé par un corsaire de Calais appelé Heude.

Le capitaine Heude, suppléant sans doute alors Aucoing, puisque celui-ci commanda plus tard le même corsaire, donna chasse, à la fin de ventôse, à un gros brick anglais, armé de six canons, qui, dès qu'il se vit serré de près, fit sur les Français un feu terrible et leur envoya de continuelles bordées. Mais les anciens compagnons d'Aucoing ne se laissèrent pas arrêter par l'énergie de cette défense désespérée; ils continuèrent, malgré les boulets et la mitraille, à se diriger sur l'ennemi: arrivés bord contre bord, ils parviennent à l'accrocher, après avoir remarqué qu'il avait cessé depuis quelques instants de faire usage de son artillerie, et sautent à l'abordage sur le pont où personne ne se montre plus. Après une minute

(1) Pages 200 et 201.

d'hésitation bien naturelle, à l'aspect de cette solitude inattendue, les corsaires visitent le bâtiment; l'équipage avait disparu, et, convaincu sans doute du sort qui l'attendait au moment où nous arriverions à l'abordage, il s'était enfui sur ses canots par son tribord pendant que nous manœuvrions pour l'accrocher par son babord. Cette fuite évita aux Anglais la honte d'amener euxmêmes leur pavillon et leur épargna l'humiliation d'être faits prisonniers, si toutefois ils purent réussir à gagner leur patrie sur leurs faibles embarcations. Quant au brick, qui était un gros charbonnier jaugeant 300 tonneaux, il arriva, avec les couleurs françaises, dans le port de Dieppe, le 7 germinal. Les journaux de l'époque firent honneur de cette capture aux Calaisiens: voilà pourquoi je n'ai pas voulu en parler lorsque je me suis occupé des armements en course de Dunkerque.

AUDIBERT.

Deux des corsaires les plus renommés de la ville de Boulogne, le Furet, monté par le capitaine Denis Bucaille, et le Rusé, capitaine Audibert (1), croisaient de compagnie dans la Manche, depuis quelques jours, sans avoir encore rien rencontré qui fût digne de leur attention, lorsque le 14 nivôse an VII, vers neuf heures du matin, la vigie signala une voile à babord.

(1) Denis Bucaille montait le Rusé, en l'an V. En pluviòse de cette année, il avait pris le brick anglais l'Union, et, de conserve avec l'Unité, capitaine Carry, 10 bâtiments d'un convoi anglais de 50 voiles.

Allons, allons, s'écria le maître d'équipage du Rusé, égayez-vous mes fieux, le bronze va ronfler.

L'équipage était en effet fort disposé à s'égayer, car cette phrase sacramentelle du vieux marin lui annonçait toujours quelque bonne aubaine. Un seul matelot, cependant, un déserteur irlandais, que l'on avait eu la faiblesse d'enrôler sur le corsaire, semblait triste et abattu. Et toi, Williams, ajouta le maître d'équipage, si tu trompes notre confiance, si tu bronches, prends garde à toi!

Soyez tranquille, maître Pierre...

-Tâche d'abord de le paraître toi-même, ou sinon... Et le vieux marin courut transmettre avec une ardeur sans égale les ordres que donnait le capitaine du Rusé, le citoyen Audibert, jeune enseigne de nos armées navales, que Denis Bucaille avait jugé digne de commander à des loups de mer braves comme ceux qui, depuis long-temps, servaient sous ses ordres.

Les deux corsaires déployèrent de la toile, et gouver— nèrent vers le navire signalé; celui-ci continuait paisiblement sa route, serrant le vent de près, de manière à donner au milieu des deux français.

Les deux capitaines examinaient attentivement sa manœuvre; puis ils entamèrent à l'aide de leur porte-voix la courte conversation que voici :

Eh! Denis! qu'en pensez-vous?

- C'est un gaillard qui a de bonnes dents.

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Oui dà, tant mieux! Qu'il hisse seulement son léo

pard, et la danse sera bonne. Nous en ferons un boulonnais.

Le Furet parle bien, interrompit le maître d'équipage en s'adressant à Audibert. La danse sera bonne : il y a long-temps que le bronze n'a ronflé.

Allons, Pierre, nous le ferons ronfler. Que pensestu que ça soit qui nous vient là?

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Ce n'est f.... pas difficile à deviner. Voyez-moi ces mâts et cette voilure; c'est une grosse corvette qui pour

rait bien prendre le grade de frégate.

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- Tant mieux, morbleu!

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Mille sabords, oui, tant mieux. Nous allons rire.

Suffit. En attendant, nous allons lui faire montrer patte blanche.

Deux coups de canon partis des batteries du Furet et du Rusé, assurèrent le pavillon national qui s'éleva majestueusement à leur poupe. La corvette ne se fit pas prier, et répondit à notre salut en arborant le pavillon suédois.

Nous sommes volés, Denis, cria le jeune commandant du Rusé à celui de sa conserve,

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Il n'est jamais entré dans les habitudes des marins français de soupçonner leurs ennemis capables d'une trahison: plusieurs fois déjà, des vaisseaux de guerre nous avaient combattus sous un autre pavillon que le nôtre; ainsi, à l'île de Bats, en 1793, une frégate anglaise avait canonné un corsaire français, en conservant, pendant tout le temps que dura cette agression, nos couleurs na

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