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tionales mais la loyauté républicaine se refusait tellement à croire au retour de tels actes de perfidie, que les deux corsaires suspendirent leurs préparatifs de combat, et continuèrent à voguer vers la corvette, sans aucune intention hostile.

Capitaine, disait en maugréant le maître d'équipage à Audibert, ce suédois là ne me paraît pas bon teint. Allons donc! supposer une infamie semblable! Y penses-tu, Pierre?

- Eh! f....., est-ce que vous croyez, vous, à la délicatesse des habits rouges?

-Je crois au respect que toutes les nations se doivent à elles-mêmes.

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Suffit, capitaine. Le bronze ronflera un autre jour. Tu es bien heureux que ce soit comme ça, ajouta-t-il en épanchant sa mauvaise humeur sur l'Irlandais auquel il avait déjà parlé, car il me tarde de te faire manœuvrer, mon drôle. Mais, va, tu ne perdras rien tendre.

pour at

Une demi-heure après, le navire de guerre suédois passait entre les deux corsaires boulonnais, dont l'équipage le considérait avec la plus indifférente curiosité. Tout à coup, un double nuage de fumée sortit et s'éleva de ses flancs, et nos deux corsaires, qui n'étaient plus qu'à portée de fusil, reçurent dans les agrès et sur leur pont une horrible décharge de mitraille, parmi laquelle il avait jusqu'à des morceaux de verre (1). Alors seulement,

(1) Moniteur du 20 nivòse an VII.

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la corvette hissa l'étendard britannique. Les Anglais avaient compté sur le désordre qu'une agression si brusque, si inattendue, nous ajouterons si peu loyale, devait jeter dans les rangs des Français, pour s'emparer de navires qui, réunis, n'étaient même pas de force à entrer en lice avec eux. Il n'en fut pas ainsi, cependant.

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Holà ! cria le maître d'équipage du Furet en faisant vibrer les airs sous les sons aigus de son sifflet, holà! tout le monde à son poste, les hommes aux pièces. Excusez, capitaine, ajouta-t-il, si je n'attends pas le commandement. Mais il n'y a pas de temps à perdre pour faire ronfler le bronze.

Un instant après, le Furet et le Rusé recevaient de nouvelles décharges de l'ennemi; mais tous nos marins étaient à leur poste, et déjà leurs caronades commençaient à répondre énergiquement à l'artillerie de l'anglais.

d'œil

Maître Pierre avait jeté sur ses hommes un coup rapide, et bientôt ses compagnons, à leur grand étonnement, le virent se précipiter dans l'entrepont, lui qui dans les luttes les plus acharnées, dans les dangers les plus grands, n'eût jamais quitté son poste sur le gaillard d'avant. Mais bientôt, malgré les préoccupations du combat, un rire général retentit sur le pont du Rusé: c'est que maître Pierre venait de remonter tenant par une oreille l'Irlandais tout tremblant, qu'il plaça près de lui, au poste le plus périlleux.

-Ah! Tu ne veux pas être du coup de peigne: nous verrons bien. Et, comme pour l'encourager, il dirigea

sur lui le canon d'un des pistolets, ajoutant: «j... f..., bronche encore, et c'est moi qui me charge de t'expédier aux requins. >>

Les Anglais furent un instant étonnés de la résistance que leur opposaient les deux faibles bâtiments auxquels ils avaient affaire; cependant leur navire qui portait une artillerie bien supérieure et de gros calibre, et les 200 hommes qui le montaient leur semblaient plus que suffisants pour mettre à la raison leurs adversaires. Le combat continua donc, et nos marins le soutinrent avec un acharnement inouï : en vain la mort pleuvait sur eux ; en vain les braves du Furet avaient vu tomber leur capitaine, le courageux Denis Bucaille, emporté par un boulet, et l'un de leurs officiers, le jeune Faure, élève de l'école centrale de marine, mortellement atteint par un des projectiles britanniques; ils continuaient à opposer aux Anglais boulets à boulets, mitraille à mitraille, avec ce sang-froid et ce sentiment du devoir qui n'abandonnent jamais les enfants de la France dans les instants. critiques, et qui semblent les clouer à leur poste pour vaincre ou mourir.

:

Mieux dirigé que celui de l'ennemi, le tir du Furet et du Rusé faisait un mal horrible à la corvette; ses bastingages, ses sabords étaient couverts de larges entailles les boulets français avaient brisé une partie de ses lourds affûts; le sang ruisselait sur son pont et dans son entrepont; les gémissements de ses nombreux blessés, le râle de ses mourants attestaient assez que la perfidie britannique avait été rudement châtiée. L'anglais était déjà,

après une demi-heure de combat, hors d'état de soutenir l'offensive.

Le maître d'équipage du Rusé, aux côtés duquel l'Irlandais dont il avait soupçonné la poltronerie venait de tomber, frappé par une balle ennemie, prononça le premier le cri: à l'abordage!

Le capitaine Audibert, qui avait oublié son rang pour prendre une part plus active à la lutte, en pointant avec une redoutable adresse les caronades de son bâtiment, donna enfin l'ordre de manœuvrer pour jeter le grappin, Mais la corvette voyant les deux corsaires disposés à l'abordage, lutte terrible dans laquelle les Anglais redoutent autant nos marins que les soldats russes craignaient notre infanterie lorsqu'elle s'élançait sur eux à la baïonnette, manœuvra de façon, non seulement à éviter cet abordage, mais encore à se mettre hors de la portée du canon des deux français.

Un hourra général des équipages boulonnais attesta l'indignation que leur causait la fuite de leur antagoniste: mais ils n'étaient pas gens à le laisser entrer ainsi en Angleterre. A son exemple, les deux français mirent toute leur toile dehors, et, donnant chasse à la corvette, ils l'accompagnèrent pendant long-temps de leurs redoutables bordées. La corvette avait l'avantage du vent; elle était fine voilière; le Rusé et le Furet avaient toutes leurs manœuvres désemparées, leurs voiles en lambeaux, leurs haubans et leurs vergues hachés par la mitraille; ils ne tardèrent pas à perdre l'avantage, et bientôt l'anglais humilié put se soustraire à la chasse que

lui donnaient ses faibles mais braves ennemis. L'honneur

du pavillon français avait encore une fois été dignement soutenu par nos corsaires.

Dans cette lutte, si inégale pour nous, et dont l'issue était une victoire, Audibert avait déployé un courage et une activité dignes d'admiration: son exemple avait électrisé ses compagnons, et les marins du Furet n'avaient eu garde de rester au-dessous de ceux du Rusé: noble et patriotique émulation dont les gens de mer ont si souvent donné des preuves, et qui a fait à la France une si large moisson de gloire dans nos guerres maritimes!

Cependant, cette victoire nous avait coûté cher; outre le capitaine Bucaille et l'élève Faure, les deux bâtiments avaient eu huit tués et 16 blessés, dont plusieurs, et notamment le capitaine en second du Rusé, succombèrent à la suite de leurs blessures.

B......, s'écria maître Pierre, après avoir fait l'appel des hommes valides, la secouée a été rude. Je disais bien que ce suédois n'était pas bon teint.

Le Rusé et le Furet rentrèrent à Boulogne, pour y fermer leurs glorieuses cicatrices. Mais le retentissement de cette action brillante ne devait pas être étouffé dans le port natal de ces deux corsaires: il vint jusqu'à Paris, où chaque jour l'on accueillait avec enthousiasme le récit des hauts faits de notre marine auxiliaire.

La France avait à acquitter une dette envers ces intrépides défenseurs de la République; le Directoire s'en chargea, et, le 23 nivôse, il fit publier l'arrêté suivant :

« Le Directoire exécutif, après avoir entendu le rapport

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