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obferve dans certains aveugles, plutôt
qu'à une fupériorité réelle de ces fens
par laquelle la nature ait voulu les,
dédommager de la privation de là vue.
Cela eft fi vrai, qu'une perfonne de-
venue aveugle par accident, trouve
fouvent dans le fecours des fens qui,,
lui refcent, des reffources dont elle
ne fe doutoit pas auparavant. Ce qui
vient uniquement de ce que cette per-
fonne étant moins diftraite, eft deve-
nue plus capable d'attention : mais
c'eft principalement dans les aveugles
nés qu'on peut remarquer, s'il eft per-
mis de s'exprimer ainfi, les miracles
de la cécité.

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tres hommes, que par le moyen de la vue on connoît les objets, comme ils lui font connus par le toucher du moins c'eft la feule notion qu'il » puiffe s'en former; il fait de plus " qu'on ne peut voir fon propre vifage, quoiqu'on puiffe le toucher. La » vue, doit-il conclure, eft donc une efpece de toucher qui ne s'étend que fur les objets différens de notre vifa»ge & éloignés de nous. D'ailleurs le ,, toucher ne lui donne l'idée que du relief. Donc, ajoûte-t-il, un miroir eft une machine qui nous met en relief hors de nous-mêmes ". Remarquez bien ces mots en relief ne font Un auteur anonyme a publié fur ce pas de trop. Si l'aveugle avoit dit fimfujet, en 1749, un petit ouvrage très-plement, nous met hors de nous-mêmes, philofophique & très-bien écrit, inti- il auroit dit une abfurdité de plus: car tulé Lettres fur les aveugles, à l'ufage comment concevoir une machine qui de ceux qui voyent; avec cette épigra- puiffe doubler un objet ? le mot de phe, poffunt, nec poffe videntur, qui relief ne s'applique qu'à la furface; fait allufion aux prodiges des aveugles ainfi nous mettre en relief hors de nousnés. Nous allons donner dans cet arti- mêmes, c'eft mettre, feulement la recle l'extrait de cette lettre, dont la mé- préfentation de la furface de notre corps taphylique eft par-tout très-fine & très- hors de nous. L'aveugle a du fentir vraie, fi on en excepte quelques en- par le raifonnement, que le toucher ne droits qui n'ont pas un rapport immé- lui repréfente que la furface des corps; diat au fujet, & qui peuvent bleffer les & qu'ainfi cette efpece de toucher qu'on oreilles pieufes. appelle vie, ne donne l'idée que du reL'auteur fait d'abord mention d'une ceite de leur folidité, le mot de res lief ou de la furface des corps, fans donaveugle né qu'il a connu, & qui vraifemblablement vit encore. Cet aveugle lief ne défignant ici que la furface. J'aqui demeure au Puifaux en Gatinois, voue que la défignation de l'aveugle, eft chymifte & muficien. Il fait lire fon même avec cette reftriction, eft encore fils avec des caracteres en relief. Il ju- une énigme pour lui: mais du moins ge fort exactement des fymmétries on voit qu'il a cherché à diminuer l'émais on fe doute bien que l'idée de fym-nigme le plus qu'il étoit poffible. - métrie qui pour nous eft de pure convention à beaucoup d'égards, l'eft encore davantage pour lui.

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On juge bien que tous les phénomenes des miroirs & des verres qui grof fiffent ou diminuent, ou multiplient les objets, font des myfteres impénétrables pour lui.,, Il demanda fi la

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Sa définition du miroir eft finguliere; c'eft, dit-il, une machine par laquelle les chofes font mises en relief hors d'elles- machine qui groffit les objets étoit mêmes. Cette définition peut être ab- 5 plus courte que celle qui les rappefurde pour un fot qui a des yeux; mais ,, tille; fi celle qui les rapproche étoit un philofophe, même clairvoyant ,, plus courte que celle qui les éloidoit la trouver bien fubtile & bien "gne; & ne comprenant point comfurprenante.,, Defcartes, aveugle né,,, ment cet autre nous-mêmes, que dit notre auteur, auroit dû, ce me felon lui, le miroir repete en relief, femble, s'en applaudir. En effet, , échappe au fens du toucher; voilà, » quelle fineffe d'idées n'a-t-il pas fal- ,, difoit-il, deux fens qu'une petite malu pour y parvenir? Notre aveugle,, chine met en contradiction; une n'a de connoiffance que par le tou- machine plus parfaite les mettroit cher; il fait fur le rapport des au » peut-être d'accord; peut-être une

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troifieme plus parfaite encore & moins perfide, les feroit difparoître & nous avertiroit de l'erreur ". Quelles conclufions philofophiques un aveugle né ne peut-il pas tirer delà contre le témoignage des fens?

Il définit les yeux, un organe fur lequel l'air fait l'effet d'un bâton fur - la main. L'auteur remarque que cette définition eft affez femblable à celle de Defcartes, qui dans sa Dioptrique | compare l'œil à un aveugle qui tou che les corps de loin avec fon bâton: les rayons de la lumiere font le bâ ton des clairvoyans. I a la mémoire des fons à un degré furprenant, & fa diverfité des voix le frappe autant que celle que nous obfervons dans les vifages.

Les fecours qu'il tire de fes autres fens, & l'ufage fingulier qu'il en fait au point d'étonner ceux qui l'environnent, le rend affez indifférent fur la privatión de la vue. Il fent qu'il a à d'autres égards des avantages fur ceux qui voient ; & au lieu d'avoir des yeux, il dit qu'il aimeroit bien au tant avoir de plus longs bras, s'il en étoit le maître.

Cet aveugle adreffe au bruit & à la voix très - fûrement : il eftime la proximité du feu au degré de la chaleur, la plénitude des vaiffeaux au bruit que font en tombant les liqueurs qu'il tranfvafe, & le voifinage des corps à l'action de l'air fur fon vifage: il diftingue une rue d'un cul-de- fac; ce qui prouve bien que l'air n'eft jamais pour lui dans un parfait repos, & que fon vifage reffent jufqu'aux moin dres viciffitudes de l'atmosphere. Il apprécie à merveille le poids des corps & les capacités des vaiffeaux; & il s'eft fait de fes bras des balances fort juftes, & de fes doigts des compas prefque infaillibles. Le poli des corps n'a guere moins de nuances pour lui que le fon de la voix : il juge de la beauté par le toucher ; & ce qu'il y a de fingulier, c'eft qu'il fait entrer dans ce jugement la prononciation & le fon de la voix. Il fait des petits ouvrages au tour & à l'aiguille, il nivele à l'équerre, il monte & démonte les machines ordinaires : il exécute un mor

ceau de mufique, dont on lui dit les notes & les valeurs; if eftime avec beaucoup plus de précifion qué nous la durée du tems, par la fucceffion des actions & des pensées.

Son averfion pour le vol eft prodigieufe, fans doute à caufe de la difficulté qu'il a de s'appercevoir quand on le vole: il a peu d'idée de la pudeur, ne regarde les habits que comme propres à garantir des injures de l'air & ne comprend pas pourquoi on couvre plu tôt certaines parties du corps que d'autres. Diogene, dit l'auteur que nous abrégeons, n'auroit point été pour notre aveugle un philofophe. Enfin les apparences extérieures du fafte qui frappent fi fort les autres hommes, ne lui en impofent en aucune maniere. Cet avantage n'eft pas à mépriser.

Nous paffons fous filence un grand nombre de réflexions fort fubtiles, que fait l'auteur de la lettre, pour en venir à ce qu'il dit d'un autre aveugle trèscélebre c'eft le fameux Saunderfon, profeffeur de mathématique à Cambridge en Angleterre, mort il y a quelques années. La petite vérole lui fit perdre la vûe dès fa plus tendre enfance, au point qu'il ne fe fouvenoit point d'avoir jamais vû, & n'avoit pas plus d'idées de la lumiere qu'un aveu gle né. Malgré cette privation, il fit des progrès fi furprenans dans les mathématiques, qu'on lui donna la chai re de profeffeur de ces fciences dans l'univerfité de Cambridge. Ses leçons étoient d'une clarté extrême. En effet il parloit à fes éleves comme s'ils euffent été privés de la vâc. Or un aveugle qui s'exprime clairement pour des aveugles, doit gagner beaucoup avec des gens qui voyent. Voici comment il faifoit les calculs, & les enfeignoit à fes difciples.

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Imaginez un quarré de bois Planc. arithmét. & algébrique fig. 14. divifé par des lignes perpendiculaires en quatre autres petits quarrés; fuppofez ce quarré percé de neuf trous, capables de recevoir des épingles de la méme longueur & de la même groffeur, mais dont les unes ayent la tête plus groffe que les autres.

Saunderfon avoit un grand nombre

de ces petits quarrés, tracés fur une grande table. Pour défigner le chiffre 0, il mettoit une épingle à groffe tête au centre d'un de fes quarrés, & rien dans les autres trous. Voyez fig. 15.) Pour défigner le nombre I, il mettoit une épingle à petite tête au centre d'un petit quarré. Pour défigner le nombre 2, il mettoit une épingle à groffe tête au centre, & au-deffus dans la même ligne, une petite épingle dans le trou correfpondant. Pour défigner 3, la groffe épingle au centre, & la petite dans le trou au-deffus à droite; & ainfi de fuite, comme on voit figure 15. où les gros points noirs marquent les groffes épingles, & les petits, les petites épingles. Ainfi Saunderfon en mettant le doigt fur un petit quarré, voyoit tout d'un coup le nombre qu'il repréfentoit; & en jettant les yeux fur la figure 16. on trouvera comment il faifoit fes additions par le moyen de fes petits quarrés. Cette figure 16. repréTente l'addition fuivante.

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En paffant fucceffivement les doigts fur chaque rangée verticale de haut en bas, il faifoit l'addition à la maniere ordinaire, & en marquoit le résultat par des épingles mifes dans de petits quarrés, au bas des nombres fufdits.

Cette même table remplie de petits 'quarrés, lui fervoit à faire des démonftrations de géométrie. Il difpofoit les groffes épingles dans les trous, de maniere qu'elles avoient la direction d'une ligne droite, & qu'elles formoient un polygone, &c.

Saunderson a encore laiffé quelques machines qui lui facilitoient l'étude de la géométrie : mais on ignore l'ufage qu'il en faifoit.

Il nous a donné des élémens d'algebre, auxquels on n'a rien publié de

fupérieur dans cette matiere: mais comme l'observe l'auteur, des élémens de géométrie de fa façon auroient encore été plus curieux. Je fais d'une perfonne qui l'a connu, que les démonftrations des propriétés des folides. qui coûtent ordinairement tant de peine, à caufe du relief des parties, n'étoient qu'un jeu pour lui. Il fe promenoit dans une pyramide, dans un icofahedre, d'un angle à un autre, avec une extrême facilité; il imaginoit dans ces folides différens plans & différentes coupes fans aucun effort. Peutétre par cette raifon, les démonftrations qu'il en auroit données, auroientelles été plus difficiles à entendre, que s'il n'eût pas été privé de la vûe: mais fes démonftrations fur les figures planes auroient été probablement fort claires, & peut-être fort fingulieres : les commençans & les philofophes en auroient profité.

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Ce qu'il y a de fingulier, c'eft qu'il faifoit des leçons d'optique mais cela ne paroîtra furprenant qu'à la multitude. Les philofophes concevront aifément qu'un aveugle, fans avoir d'idée de la lumiere & des couleurs, peut donner des leçons d'optique, en prenant, comme font les géometres, les rayons de lumiere pour des lignes droites, qui doivent être difpofées fuivant certaines loix, pour produire les phé nomenes de la vifion, ou ceux des miroirs & des verres.

Saunderfon, en parcourant avec les mains une fuite de médailles, difcernoit les fauffes, même lorfqu'elles étoient affez bien contrefaites pour tromper les bons yeux d'un connoif feur. Il jugeoit de l'exactitude d'un inftrument de mathématique, en faisant paffer fes doigts fur les divifions. Les moindres viciffitudes de l'atmosphere l'affectoient comme l'aveugle dont nous avons parlé; & il s'appercevoit fur-tout dans les tems calmes, de la préfence des objets peu éloignés de lui. Un jour qu'il affiftoit dans un jardin à des observations aftronomiques, il diftingua par l'impreffion de l'air fur fon vifage, le tems où le foleil étoit couvert par des nuages; ce qui eft d'autant plus fingulier, qu'il étoit totalement

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privé, non-feulement de la vue, mais de l'organe.

Je dois avertir ici que la prétendue hiftoire des derniers momens de Saunderfon, imprimée en anglois felon l'auteur, eft abfolument fuppofée. Cette fuppofition que bien des érudits regardent comme un crime de lefe- érudition, ne feroit qu'une plaifanterie, fi | l'objet n'en étoit pas auffi férieux.

L'auteur fait enfuite mention en peu de mots, de plufieurs autres illuftres aveugles qui, avec un fens de moins, étoient parvenus à des connoiffances furprenantes; & il obferve, ce qui eft fort vraisemblable , que ce Tiréfie, qui étoit devenu aveugle pour avoir lu dans les fecrets des Dieux, & qui prédifoit l'avenir, étoit, felon toutes les apparences, un grand philofophe aveugle, dont la fable nous a confervé la mémoire. Ne feroit - ce point peutêtre un aftronome très - fameux, qui prédifoit les éclipfes (ce qui devoit paroître très-fingulier à des peuples ignorans) & qui devint aveugle fur la fin de fes jours, pour avoir trop fatigué fes yeux à des observations fubtiles & nombreuses, comme Galilée & Caffini ?

Il arrive quelquefois qu'on reftitue la vûe à des aveugles nés: témoin ce jeune homme de treize ans, à qui M. Chefelden, célebre chirurgien de Londres, abattit la cataracte qui le rendoit aveugle depuis fa naiffance. M. Chefelden ayant obfervé la maniere dont il commençoit à voir, publia dans le no. 402. des Tranfactions philofophiques, & dans le cinquante-cinquieme article du Tatler, (c'eft-à-dire du Babillard), les remarques qu'il avoit faites à ce fujet. Voici ces remarques extraites du troifieme volume de Hiftoire naturelle, de MM. de Buffon & d'Aubenton. Ce jeune homme, quoiqu'aveugle, pouvoit diftinguer le jour de la nuit, comme tous ceux qui font aveugles par une cataracte. Il diftinguoit même une forte lumiere, le noir, le blanc & l'écarlate; mais il ne difcernoit point la forme des corps. On lui fit d'abord l'opération fur un feul œil au moment où il commença de voir tous les objets lui parurent appliqués contre fes yeux. Les objets

qui Ini étoient les plus agréables, fans qu'il pût dire pourquoi, étoient ceux dont la forme étoit réguliere; il ne reconnoilloit point les couleurs qu'il avoit diftinguées à une forte lumiere étant aveugle; il ne difcernoit aucun objet d'un autre, quelque différentes qu'en fuffent les formes: lorfqu'on lui préfentoit les objets qu'il connoiffoit auparavant par le toucher, il les confi déroit avec attention pour les reconnoître une autre fois; mais bientôt il oublioit tout, ayant trop de chofes à retenir. Il étoit fort furpris de ne pas trouver plus belles que les autres, les perfonnes qu'il avoit aimées le mieux. Il fut long-tems fans reconnoître que les tableaux repréfentoient des corps folides, il les regardoit comme des plans différemment colorés mais lorsqu'il fut détrompé, & qu'en y portant la main il ne trouva que des furfaces, il demanda fi c'étoit la vue ou le toucher qui trompoit. Il étoit furpris qu'on pût faire tenir dans un petit efpace la peinture d'un objet plus grand que cet efpace; par exemple un vifage dans une miniature; & cela lui paroiffoit auffi impoffible que de faire tenir un boiffeau dans une pinte. D'abord il ne pouvoit fouffrir qu'une très - petite lu miere, & voyoit tous les objets fort gros: mais les premiers fe rappétiffoient à mesure qu'il en voyoit de plus gros, Quoiqu'il fût bien que la chambre où il étoit, étoit plus petite que la maifon, il ne pouvoit comprendre com ment la maifon pouvoit paroître plus grande que la chambre. Avant qu'on lui eût rendu la vue, il n'étoit pas fort empreffé d'acquérir ce nouveau fens, il ne connoiffoit point ce qui lui manquoit, & fentoit même qu'il avoit à certains égards des avantages fur les autres hommes: mais à peinę commença-t-il à voir diftinctement, qu'il fut tranfporté de joie. Un an après la premiere opération, on lui fit l'opération fur l'autre œil, & elle réuffit également; il vit d'abord de ce fe cond oil, les objets beaucoup plus gros que de l'autre, mais cependant moins gros qu'il ne les avoit vûs du premier cil; & lorfqu'il regardoit le même objet des deux yeux à la fois, il die

foit que cet objet lui paroiffoit une fois plus grand qu'avec fon premier wil tout feul.

M. Chefelden parle d'autres aveugles nés, à qui il avoit abattu de même la cataracte, & dans lefquels il avoit obfervé les mêmes phénomenes, quoiqu'avec moins de détail: comme ils n'avoient pas besoin de faire mouvoir leurs yeux pendant leur cécité, ce n'étoit que peu-à-peu qu'ils apprenoient à les tourner vers les objets.

Il réfulte de ces expériences, que le fens de la vue fe perfectionne en nous petit-à-petit; que ce fens eft d'abord très-confus, & que nous apprenons à voir, à-peu-près, comme à parler. Un enfant nouveau né, qui ouvre pour la premiere fois les yeux à la lumiere, éprouve fans doute toutes les mêmes chofes, que nous venons d'obferver dans l'aveugle né. C'est le toucher & l'habitude qui rectifient les jugemens de la vûe. Voyez TOUCHER.

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Revenons préfentement à l'auteur de la lettre sur les aveugles.,, On cherche, dit-il, à reftituer la vûe à des aveugles nés, pour examiner comment fe fait la vifion : mais je crois qu'on pourroit profiter autant, en questionnant un aveugle de bon fens...... Si l'on vouloit donner », quelque certitude à ces expériences, il faudroit du moins que le fujet fût préparé de longue- main, & » peut-être qu'on le rendit philofo"phe.... Il feroit très-à-propos de ne " commencer les obfervations que ,, long-tems après l'opération pour cet effet il faudroit traiter le malade dans l'obfcurité & s'affurer bien " que fa bleffure eft guérie, & que les "yeux font fains. Je ne voudrois » point qu'on l'expofât d'abord au », grand jour... Enfin ce feroit encore un » point fort délicat que de tirer parti d'un fujet ainfi préparé, & de l'in,,terroger avec affez de fineffe pour » qu'il ne dit précisément que ce qui fe paffe en lui... Les plus habiles gens ,, & les meilleurs efprits, ne font pas ,, trop bons pour une expérience fi phi,, lofophique & fi délicate

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Finiffons cet article avec l'auteur de la lettre, par la fameufe queftion

de M. Molineux. On fuppofe un aveugle né, qui ait appris par le toucher à diftinguer un globe d'un cube; on demande fi, quand on lui aura reftitué la vue, il diftinguera d'abord le globe ducube fans le toucher ? M. Molineux croit que non & M. Locke eft de fon avis; parce que l'aveugle ne peut favoir que l'angle avancé du cube, qui preffe fa main d'une maniere inégale, doit paroître à fes yeux, tel qu'il paroît dans le cube.

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L'auteur de la lettre fur les aveugles, fondé fur l'expérience de Chefelden, croit avec raifon que l'aveugle né verra d'abord tout confufément, & que bien loin de diftinguer d'abord le globe du cube, il ne verra pas même diftinctement deux figures différentes: il croit pourtant qu'à la longue, & fans le fecours du toucher, il parviendra à voir diftinctement les deux figures: la raifon qu'il en apporte, & à laquelle il nous paroît difficile de répondre c'est que l'aveugle n'ayant pas befoin de toucher pour diftinguer les couleurs les unes des autres, les limites des couleurs lui fuffiront à la longue pour difcerner la figure ou le contour des objets. Il verra donc un globe & un cube, ou fi l'on veut, un cercle & un quarré : mais le fens du toucher n'ayant aucun rapport à celui de la vue, il ne devinerà point que l'un de ces deux corps eft celui qu'il appelle globe, & l'autre celui qu'il appelle cube; & la vifion ne lui rappellera en aucune maniere la fenfation qu'il a reçue par le toucher. Suppofons préfentement qu'on lui dife que l'un de ces deux corps eft celui qu'il fentoit globe par le toucher, & l'autre celui qu'il fentoit cube; faura-t-il les diftinguer? L'auteur répond d'abord qu'un homme groffier & fans connoiffance prononcera au hafard; qu'un métaphyficien, fur-tout s'il eft géometre, comme Saunderfon, examinera ces figures; qu'en y fuppofant de certaines lignes tirées, il verra qu'il peut démontrer de l'une toutes les propriétés du cercle que le toucher lui a fait connoître, & qu'il peut démontrer de l'autre figure toutes les propriétés du quarré. Il fera donc bien tenté de conclure: voilà le cercle, vois

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