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relevés et formant au front des rides circulaires; plus de vivacité et d'égarement dans la prunelle fixée sur le sujet de la surprise. La respiration est presque entièrement suspendue, et la voix entrecoupée par des exclamations très-courtes.

Si nous avions un conseil à donner aux compositeurs lyriques sur les moyens d'interpréter la surprise, ce serait de les engager à couper tout à fait leur motif, et, après une légère pose, changer de tonique et entrer par un pianissimo dans l'expression de la passion qui succède à ce premier mouvement. Nous n'essaierons point de dire de quelle manière elle a été traduite dans la plupart des œuvres les plus célèbres; nous n'y trouvons rien qui soit digne de quelque attention. Peut-être quelque beauté de composition de ce genre a-t-elle échappé à nos observations, ou peut-être les acteurs lyriques comprennent-ils, et rendent-ils mal les pensées de l'auteur, soit par défaut d'expression dans leur chant, soit par le peu de soins qu'ils donnent à leur mimique; certes nous aurions de puissantes causes pour le croire.

l'on remarque

l'insou

Ainsi c'est avec un pénible regret que ciance avec laquelle notre théâtre italien néglige les préceptes mimicologiques. Ce n'est plus à un spectacle que l'on assistera bientôt; la scène sera réduite en concert, où les spectateurs ne se réuniront que pour être au courant des modes. L'indulgence, ou plutôt l'indifférence du public, finira par devenir funeste à l'art; car c'est le public qui fait les grands artistes. Qu'on se contente du médiocre, on n'aura jamais le sublime; mais que l'on soit exigeant et sévère, lorsque surtout la négligence de l'acteur est une cause de sa médiocrité, les progrès arriveront à grands pas. La mimique, ajoutons même l'expression lyrique, sont tout à fait en décadence à la sale Ventadour. Dans une ville surtout où la poésie italienne n'est pas commune à la foule, et où

l'acteur, cependant gesticulateur par habitude, devrait, pour en faciliter l'intelligence, porter tous ses soins à exprimer, par des gestes vrais, sa position, ses sentiments, ses moindres impressions, on ne saurait point s'expliquer cette négligence, si on ne voyait en elle le résultat de l'insouciance publique.

En considérant comment ils traitent la surprise, on pourra juger du reste des passions. Dans Anna Bolena, de Donizetti, lorsque Richefort, se rencontrant avec Percy, qu'il croyait, non-seulement dans des pays lointains, mais qu'il n'espérait même plus revoir, à cause de l'arrêt d'exil qui l'avait banni de la Grande-Bretagne, s'écrie en le voyant. Che veggio!.... In Inghilterra? tu!... mio Percy! (Fig. 18.) L'acteur, sans lui témoigner la surprise qui est si naturelle dans cette rencontre, et que les mots mêmes expriment, sans en donner la moindre expression, ni à son attitude, ni à sa physionomie, court au-devant de lui comme s'il l'eût réellement attendu, comme si on l'eût annoncé d'avance. L'artiste oubliait ici son rôle et ne voyait qu'un personnage attendu dans celui qui arrivait en effet à l'instant marqué par la mise en scène; de manière que, machinal automate, il ne comprenait point le che veggio! tu in Inghilterra! expression qui manifeste une profonde surprise et non un désir de serrer un ami dans ses bras.

Dans la Sémiramide, pareille scène a lieu, excepté que dans Anna Bolena, l'amitié succède à la surprise, et que dans la Sémiramide c'est la haine, la colère. Assur, jaloux que Sémiramis lui préfère le jeune guerrier Arsace, éloigne de Babylone ce protégé et l'envoie au mont Caucase; mais par des circonstances contraires aux vues d'Assur, Arsace revient à la cour le jour même où la reine, pressée par ses ministres, doit se choisir un époux. Assur, qui aspire à cette faveur royale, et qui croit y avoir des droits comme instrument des crimes de

Sémiramis, voit arriver avec une cruelle surprise cet audacieux favori qui peut lui disputer le trône, et il s'écrie:

Che veggio! Eh fia vero? audace!

Senza un mio cenno in Babilonia Arsace (Fig. 19).

Et ici le pauvre artiste, sans prendre en considération le che veggio! qui exprime uniquement la surprise, le fia vero, où la surprise est mêlée à l'incrédulité, s'abandonne simplement à l'orgueilleux emportement, qui ne doit éclater qu'au second vers; et encore Dieu sait avec quelle expression il traite cette passion!

Avouons-le, les acteurs italiens ne songent qu'à exercer leur voix à de grandes difficultés. Ils pensent que c'est là que repose toute la gloire, et qu'au delà des perfections d'une voix juste, extraordinaire, il n'y a rien qui doive les préoccuper. Mais quand même cette opinion serait bien fondée, comment parviendrontils à donner à leurs chants cette justesse, cette expression entraînante qui caractérise la passion, et qui est l'âme de la musique vocale, s'ils en négligent entièrement les effets, s'ils n'en suivent pas les impressions, s'ils n'en prennent pas le caractère? Ne comprennent-ils donc point qu'il faut concilier le génie avec les arts pour arriver à une perfection possible?

Mais les exemples donnés par les célébrités artistiques en sont cependant la plus éclatante preuve. Opposons, en effet, au jeu de ces pitoyables acteurs, dont les noms peuvent rester dans le mystère, la savante mimique de quelque illustre sujet. Nous citerons de préférence, et avec une douce satisfaction, le célèbre Salvatiori, qui a fait si longtemps le délice du théâtre de Venise et de celui de Milan, et qui sut toujours enthousiasmer tant de cœurs, malgré la faiblesse d'une voix épuisée

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