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des sacrements, en dédaignant de servir de si indignes rivaux, et hâtèrent la propagation du théâtre par leurs révoltantes persécutions. C'est ainsi que la lutte cessa d'être apparente; mais, rivaux irréconciliables, les acteurs et les prêtres ne vivront jamais dans une paisible harmonie.

Cependant ces différends n'eussent point eu lieu si le caractère auguste de la religion eût été bien compris. Mais la religion est comme les passions qui doivent être utiles aux hommes: lorsqu'elle n'est pas exercée avec sagesse, avec une prudente modération, elle peut nous éloigner de la voie de nos devoirs, influer sur notre humeur et nous faire devenir aussi pervers qu'elle aurait pu nous rendre bons et bienfaisants.

Dès qu'on s'écarte des bornes de la sainte morale pour suivre des exercices qui n'en sont ordinairement que les signes, on hâte les graves progrès du fanatisme, qui dévore le cœur d'une ardeur sacrilége, et nous mène au crime; on néglige insensiblement la raison pour embrasser la cause, et on ne recherche plus l'exercice de la sainte vertu qui nous porte à faire le bien, pour s'appliquer à fuir les moyens qui peuvent nous conduire au vice; devenant ainsi inutile à la société et à soi-même, et ressemblant parfaitement à ces hommes que Le Dante, dans ses chants, nous peint indignes du paradis, parce qu'ils n'ont rien fait pour le mériter, et que l'enfer même refuse d'admettre parmi les siens, parce qu'il n'aurait aucune gloire de les posséder

nion de Labruyère : « Il y a dans les paroisses, dit-il, plus de rétributions pour un mariage que pour un baptême, et plus pour un baptême que pour la confession. L'on dirait que ce soit un taux sur les sacrements, qui semblent par là être appréciés. Ce n'est rien au fond que cet usage, et ceux qui reçoivent pour les choses saintes ne croient point les vendre, comme ceux qui donnent ne pensent point à les acheter; ce sont peut-être des apparences qu'on pourrait cacher aux simples et aux indévots. » Et chacun sait, de notre temps encore, jusqu'à quel point on porte ces abus et cette usure. L'on pourrait ajouter que les sacrements sont, non-seulement plus chers les uns que les autres, mais que leur prix augmente aussi en raison des accessoires qui les accompagnent, et de l'autel où on les reçoit.

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Machiavel, entrant dans l'opinion du Dante, a fait le panégyrique de Pierre Soderini en une épigramme digne de passer à la postérité. La voici :

La notte che morì, Pier Soderini
Si presentò dell' inferno alla bocca;

Ma Pluto gli gridò: anima siocca,

Che inferno?... va' nel limbo de' bambini.

Il faut espérer que de tels hommes trouveront un jour cette répulsion sur la terre, et on pourra dire alors qu'ils auront fait bien des efforts pour la mériter.

Mais jetons un coup d'œil rapide sur les ministres d'une religion austère, sur ceux mêmes qui en suivent extérieurement les préceptes, sur tous ceux qui la font servir à leurs lâches projets, soit pour satisfaire leur envie, soit pour protéger leur ambition, et nous trouverons comme compagnes inséparables de leurs caractères : l'insatiabilité, qui les rend avides de richesses, d'honneurs et de vénération servile; l'égoïsme, qui les porte à tout faire pour eux-mêmes et à ne rien rapporter aux autres; l'insensibilité, qui, après avoir endurci leurs cœurs à la vue des maux qui accablent l'humanité, à l'aspect des souffrances qui précèdent la mort, et que, dans leurs exercices, ils sont appelés à contempler, rend leur âme inaccessible aux douces impressions de la vertu et aux charmes de la sociabilité; la cupidité, qui les rend sévères pour ceux dont la misère réclame des soins qu'elle ne peut assez récompenser, adulateurs et serviles auprès de ceux à qui les richesses et le faste permettent de faire de nombreux sacrifices.

Et dès lors remarquez dans leurs rapports sociaux que d'orgueil et d'austérité vis à vis du pauvre, que de bassesse et d'humilité en face du riche et du puissant! Auprès de l'un quel

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maintien de fausse pudeur, quel visage dédaigneux, quel air de haute protection. Jamais ils n'oseraient le regarder en face; ils craindraient de porter leurs regards trop bas, ou de laisser apercevoir cette fourbe noblesse plus propre à inspirer l'indignation et le mépris, que le respect et la vénération.

- Mais comme leur caractère change en présence de l'autre, ce ne sont plus les mêmes hommes. Leur attitude est courbée dans la région dorsale avec élévation des épaules et renfoncement de la tête et du cou; leur démarche est étudiée, leur pas, lent et léger; leurs gestes, souples et insinuants; leur visage, empreint d'un sourire forcé; leur regard, humble, faux et agité d'une secrète anxiété ; leur élocution, recherchée; leur voix, adoucie et pleine de déclamation.

Voilà les hommes qui trouvent la religion en dehors de la morale, ou qui soumettent celle-ci aux caprices de la première pour la tourner à leur avantage. Ce sont là pourtant les prétendants à la formation des mœurs, les concurrents à la direction de l'enseignement et de l'éducation, les juges de nos secrètes iniquités, les conseillers de nos devoirs envers Dieu et envers l'humanité, les conciliateurs des cœurs, les consolateurs des affligés et les prétendus bienfaiteurs du genre humain !

Hélas! que serait la société si elle ressemblait à de tels hommes !

ESTIME, RESPECT.

DÉFÉRENCE, POLITESSE, COURTOISIE.

Pour arriver plus facilement à une solution, et surtout pour réunir en un seul point de vue les sentiments que nous traitons dans ce chapitre, qu'il nous soit permis de faire observer que l'estime est pour les êtres vivants ce que la dévotion est pour les êtres moraux, et le respect ce que la vénération est pour ces mêmes sujets.

On en jugera par le développement qui va suivre.

L'estime, fondée sur l'appréciation des perfections morales d'un homme doué de rares vertus, d'un mérite incontestable et d'un esprit supérieur, naît de l'opinion favorable que nous avons de ses hautes qualités, auxquelles l'âme ne peut pas refuser son admiration, indépendamment même des sentiments d'envie ou de jalousie qu'elles pouraient réveiller. C'est un hommage secret, inhérent aux facultés morales de l'homme,

et que rien ne peut altérer; c'est un culte de l'âme qui suit les lois de ses affections.

Le respect n'est pas seulement inspiré par le mérite, nous l'accordons quelquefois aussi à ceux qui ne devraient avoir part qu'à notre mépris. Il ne cède pas à un mouvement de l'âme portée naturellement à l'admiration, il résulte plus souvent des exigences de la société, de ses lois et de ses usages; parfois de la crainte que nous inspire celui de qui dépendent nos destinées, et que nous respectons pour ne pas nous rendre son pouvoir défavorable.

Tel est le respect que nous accordons à des maîtres mercenaires, aux grands de l'Etat institués plutôt par l'intrigue que par le mérite, et à tous ces hommes en général revêtus de dignités imposantes; parce que nous sommes portés à croire, et même à le désirer, que les grandeurs doivent être le partage de l'équité, de la justice, de la bonne foi, de l'honneur et de la probité, plutôt que celui des bassesses, de l'intrigue, de la simonie et des lois arbitraires d'un Etat.

Ainsi le respect n'est réellement pur que lorsqu'il est commandé par l'estime; or, lorsque l'estime et le respect se trouvent réunis, ils deviennent une véritable dévotion. Mais en examinant séparément leur nature, en considérant l'état de l'âme dans la manifestation de ces deux sentiments, on sera non-seulement convaincu de la différence de leur expression, mais on verra encore que le respect lui-même peut se présenter avec différents caractères, selon la nature des sujets qui l'inspirent.

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