Page images
PDF
EPUB

un sentiment illusoire, parce qu'il n'est que chimère pour les chefs des grands Etats. Où voit-on, en effet, cette pure philanthropie, qui anime l'homme du désir ardent d'améliorer le sort de ses semblables, cet héroïsme dont les efforts glorieux tendent à défendre, à maintenir, à propager le bonheur parmi eux? Où trouve-t-on ces ministres intègres dévoués à la cause publique, et occupés uniquement à augmenter les prospérités nationales? Où voit-on encore un chef, tout à la fois puissant et auguste, n'ayant en vue que le bien-être de ses sujets, protégeant la vertu, encourageant le vrai mérite, fuyant la flatterie, et laissant partout des traces de ses bienfaits et de son amour?... Où est-il donc, ce monarque bien-aimé que partout le peuple bénit et révère, parce que partout, jaloux du bonheur de son peuple, il sait mépriser l'amas des trésors pour en faire un utile et généreux emploi? Où sont-ils passés, ces rois guerriers qui, dans une guerre juste, allaient soutenir de leur courage le courage des combattants, pour , pour les mener à une victoire certaine? Et la sainte émulation ne dit plus rien aux peuples, et les peuples s'endorment dans l'indolence du patriotisme pour ne rêver qu'usure et spoliation!...

Pauvres patries! où sont-ils, vos défenseurs et vos protecteurs? Vous ne voyez plus sur vos autels, dans vos temples, brûler l'encens des sacrifices pour le triomphe des libertés publiques; vous n'entendez plus ces voix amies qui, aux tribunes politiques, ne s'élevaient que pour votre défense et votre gloire. Le froid égoïsme, les mouvements de la nature ne cèdent plus rien à l'amour du bien de tous. Les Timoléon ne viennent plus vous sacrifier leurs frères; les Léonidas ne savent plus se dévouer eux-mêmes; juges sévères et justes, les Brutus n'envoient plus d'enfants au supplice; les Régulus ne préfèrent plus la torture avec l'honneur, aux richesses avec la honte;

la voix des Démosthène et des Cicéron ne retentit plus au milieu des assemblées nationales... Oh! c'est, hélas ! que l'amour de la patrie est une chimère pour les chefs des grands États, un mot vague, un sentiment illusoire pour les populations modernes !

Les peuples ne deviennent malheureux que dès l'instant où l'amour de la patrie est méconnu parmi eux, c'est-à-dire dès l'instant où ces mêmes peuples ne savent plus se choisir de maître; car cet amour doit prendre sa source sur le trône, et lorsque cette source est étroite et stérile, la patrie est souffrante et menacée des plus grandes calamités. Où voit-on être nulles, en effet, la fraternité, l'unité d'opinion, la prospérité nationale et l'union civile? Là seulement où le trône est occupé par des ennemis du peuple, c'est-à-dire par des hommes qui ne sont arrivés au pouvoir que par l'intrigue et à la faveur des séditions; là où règnent des princes égoïstes, des despotes, des princes sans patriotisme, qui ont vu leurs aïeux succomber sous le glaive des justices populaires, et qui ont dû jurer haine éternelle aux descendants des juges qui les ont condamnés.

Aussi quel est l'état d'une nation ainsi constituée ? Partout la discorde et la désunion au milieu des partis opposés ; partout des opinions qui s'entre-choquent et se déchirent; partout la cupidité, l'égoïsme et la mauvaise foi; depuis le premier jusqu'au dernier du peuple, nul ne reconnaît plus un égal dans son égal. La défiance est dans tous les cœurs; l'usure et l'appât du gain préoccupent toutes les classes de la société ; l'agriculture, le commerce, l'industrie, les sciences, les arts, négligés partout, se trouvent dans une désolante décadence. Puis la détresse, la famine succèdent, les peuples se soulèvent; les familles, après s'être dépouillées, se détruisent entre elles, et les révolutions désastreuses sont la suite terrible dans laquelle est plongé un Etat mal gouverné.

Remarquez, au contraire, une nation dont le monarque est chéri de son peuple, une nation par conséquent où règne l'amour de la patrie. A la seule idée de la patrie en danger, femmes, vieillards, enfants, tous, d'un commun accord, se lèvent pour la défendre, décidés à mourir pour son salut. Au milieu de la paix, chacun cherche à améliorer, par de grands travaux, le sort de ses semblables. Le législateur travaille au maintien des lois, et le savant, au progrès de l'esprit humain; l'industriel ouvre de nouvelles carrières aux arts; l'agronome et le commerçant, unis par un mutuel intérêt, se vouent à la prospérité de l'agriculture et du commerce, et l'orateur politique, animé du désir de maintenir les prospérités toujours croissantes, édifié par l'union des classes nationales, met toute sa gloire à mériter leur affection et leur reconnaissance.

Aussi, observez-le à la tribune, cet orateur que l'amour de la patrie anime. De quelle verve chaleureuse ses paroles sont empreintes! Que ses gestes sont libres et peu violents, en proportion de la vivacité de ses discours, de la volubilité de son élocution, de l'enthousiasme qu'il met dans sa défense, de l'indignation qui se peint sur ses lèvres amincies, de ce souffle fort et rapide qui s'échappe de ses narines dilatées ! Que son regard est perçant et fier, que son front découvert se tient avec dignité; que son attitude est noble et imposante! C'est Vergniaud tel que l'a sculpté le ciseau de l'habile Cartelier; c'est Mirabeau tel que l'a peint Allais.

Et ce philosophe profond et consciencieux, lisant la feuille immortelle sur laquelle il a tracé ses sublimes pensées, n'est-il pas aussi digne de notre attention? Comme son regard s'enflamme lorsqu'il relit une noble maxime! Comme son cœur bat à l'idée d'avoir réussi à faire aimer la vertu ! Comme sa main tremble en pressant cette œuvre immortelle où il a écrit le mot

de patrie! Et son front se colore, et ses lèvres souriantes décèlent le bonheur dont son âme est réjouie! Tels on nous représente le bienfaisant Montesquieu, le pieux Milton, le divin Dante, l'austère Platon, l'immortel Pythagore et le stoïque Zénon.

Nous ne nous arrêterons pas à analyser les scènes admirables d'amour de la patrie dont les auteurs dramatiques et les lyriques ont enrichi la scène moderne; on sait avec quel enthousiasme le public a toujours accueilli les effets de cette passion. Qui ne se rappelle la vive émotion dont les spectateurs étaient pénétrés à l'audition du chœur de Charles VI, au festival de Berlioz ?

Pour le drame, rappelons ici que dans Christophe le Suédois, Bouchardy nous peint tout l'héroïsme que peut dicter le véritable amour de la patrie; car c'est avec un talent admirable qu'il nous offre, d'un côté, la vertu courageuse et persévérante, méconnue et persécutée d'abord, mais triomphante ensuite; d'un autre côté, l'envie à l'œil morne et louche, cherchant à étouffer le mérite pour en usurper la gloire, mais se détruisant elle-même de ses propres armes.

Nous ne parlerons pas des traits de bravoure qui ont immortalisé tant de guerriers sur les champs de bataille : sans doute l'amour de la patrie a dû jouer un grand rôle dans les traits sublimes qui ont fait tant de héros; mais le dévouement enthousiaste inspiré par la témérité en a plus particulièrement provoqué les résultats.

Quelques auteurs ont confondu l'amour de la patrie avec cet attrait irrésistible que nous conservons pour les lieux qui nous ont vus naître, pour les lieux où nous avons goûté nos premiers plaisirs et où nous avons éprouvé nos premières émotions. Mais ce prestige enchanteur, qui nous attache aux climats les

plus durs, aux lieux les plus sauvages, ce charme secret par lequel le lieu de notre naissance est toujours présent à notre souvenir, n'est autre chose qu'un amour instinctif donné par la nature à tous les êtres vivants.

Lorsque après une longue absence le vieux guerrier revient au foyer de ses pères, son âme, rajeunie à la vue du berceau de son enfance, tressaille d'amour et de joie. Tout ce qui l'environne lui fait éprouver de douces émotions. Ici, c'est la verte prairie où ses sœurs conduisaient leurs brebis bondissantes; là, c'est la chaumière isolée, devant laquelle il s'arrête, et qu'il contemple d'un œil humide; plus loin, c'est la croix du village sous laquelle reposent ses aïeux, et devant laquelle il s'incline et prie. Partout de touchants souvenirs produisent en lui une émotion secrète, un ravissement prolongé auxquels succède la joie la plus pure.

AMOUR DIVIN.

FANATISME, FAUSSE DÉVOTION.

L'amour divin émane d'une conscience pure, d'une grande confiance en Dieu. Il produit dans l'âme une joie pure, une douce satisfaction; il nous prédispose à l'indulgence et à la compassion envers nos semblables, et devient la source de toutes les vertus modestes.

Les priviléges que l'on accorde à cet amour ont donné lieu à des abus qui le dénaturent et le rendent quelquefois méprisable. Les uns, agités par une crainte frivole, et semblables à de vils esclaves qui servent des maîtres mercenaires, font de la

« PreviousContinue »