Page images
PDF
EPUB

le cœur des spectateurs avec tant de puissance, que la foule, séduite par la vérité de ses accents et de ses poses, pleurait ou souriait selon que la joie ou la douleur était peinte sur son visage. Eh bien! cet acteur, qui avait réveillé de si profondes sympathies dans la déclamation de ces chefs-d'œuvre de la poésie italienne, n'excitait plus d'intérêt lorsqu'à la pure éloquence il était obligé de substituer le jargon de quelque mauvais drame. Sa mâle énergie l'abandonnait; son âme, enflammée par le souffle enivrant des passions que lui inspiraient les œuvres des grands maîtres, devenait froide, impassible, sous l'influence des œuvres où les passions n'étaient point à leur place.

Ceci fera mieux comprendre l'utilité d'associer les arts à la science. C'est la littérature dramatique qui doit faire les grands artistes; il faut que, d'un côté, les sentiments soient peints avec vérité : c'est là le croquis de l'expression; les couleurs appartiennent à l'acteur. L'homme de génie qui retrace sur la toile ses idées poétiques ne travaille point sous l'influence de l'inspiration son tableau était fait avant d'être ébauché.

SUBDIVISION DU GESTE EXPRESSIF.

DU GESTE D'IMITATION.

Revenons au geste expressif.

Le geste expressif peut se subdiviser en gestes purement expressifs et en gestes d'imitation.

Comme nous l'avons déjà vu, le geste purement expressif consiste dans les mouvements presque toujours involontaires excités par les passions, tels que le tremblement, la pâleur et le frissonnement dans la frayeur; la crispation des mains et la rougeur dans la colère; les contorsions dans la souffrance. Ces gestes tendent donc à soutenir la parole en la confirmant par les signes qui correspondent aux mouvements de l'âme.

Les gestes d'imitation, au contraire, s'attachent généralement à reproduire, par la contrefaçon de l'objet que nous énonçons par la parole ou de la qualité que nous lui attribuons, ce qui le caractérise plus particulièrement.

Suivez les mouvements de ce vieux guerrier rentré dans ses foyers, et faisant aux voisins rassemblés le récit de ses exploits. Parle-t-il du roulement des tambours au fort d'une bataille,

aussitôt ses mains, comme si elles étaient armées de baguettes, suivent un mouvement analogue. La marche à l'ennemi est-elle commandée, il ne reste plus en place, il faut qu'il suive le mouvement de la marche; mais la halte la suit bientôt, et un coup de feu va décimer l'ennemi: dès lors sa main droite appuyée sur la joue, et le bras gauche tendu en avant avec les deux doigts indicateurs étendus, indiquent la position du soldat qui vise et qui est prêt à lâcher la détente; il serait extraordinaire s'il n'ajoutait point à ce geste la détonation de l'arme à feu par un boum!... épouvantable qui fit tressaillir tout l'auditoire.

Ce geste peut être également appliqué au style soutenu. C'est surtout dans la narration qu'on trouve de plus grands sujets de le mettre en jeu. Sans être exagérés, ces moyens d'imitation doivent être ménagés, mais d'une vérité ingénieuse. Récitez, en les accompagnant de gestes, ces vers de Boileau :

La mollesse oppressée,

Dans sa bouche, à ce mot, sent sa langue glacée;
Et, lasse de parler, succombant sous l'effort,

Soupire,... étend les bras,... ferme l'œil.... et s'endort.

Sans doute on traînera sur le second vers: la langue se glacera en effet; la prononciation des mots eux-mêmes lui en facilitera les moyens; soupirer légèrement, étendre mollement et avec abandon les bras à demi courbés, fermer l'œil langoureusement, et abandonner enfin tous les membres oppressés comme si le sommeil les eût en effet appesantis, voilà la mimique qui doit mettre le dernier vers en action. Les mots seraient superflus le geste pourrait suffire à l'intelligence de l'auditeur.

Dans le développement des idées élevées, ce geste emprunte aussi l'image des passions en cherchant à imiter leurs effets ou

leur puissance. L'allégorie est une des figures qui peuvent en offrir de plus grands sujets. Le geste, sans être alors l'interprète de la passion que l'on éprouve, emprunte l'expression de celle dont on présente l'image. Jugez de cette expression par celle que doit mettre don Gusman quand il dit à Alvarez :

L'Américain farouche est un monstre sauvage

Qui mord en frémissant le frein de l'esclavage.

Il y a quelques autres figures qui prêtent beaucoup au développement du geste d'imitation; mais nous nous réservons de les analyser et de les développer plus minutieusement à la prosodie.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES

SUR LE GESTE EXPRESSIF.

Il est nécessaire, après avoir clairement démontré ce que nous entendons par geste expressif, que nous parlions des parties qui concourent à le former. Or, pour nous, geste expressif ne signifie pas uniquement geste, ou mouvement des bras et des mains; nous lui donnons une signification plus large, celle d'expression, où chaque membre concourt à démontrer l'effet de la passion. La démarche, les bras, les mains, le col, la bouche, les sourcils, le front, les yeux sont autant de ressorts qui produisent le geste expressif.

Nous allons voir, en peu de mots, quel rôle chacune de ces parties joue dans les passions. Nos observations auront pour but de marquer les différences et les rapports qui se manifestent généralement, sans faire aucune application de l'expression. Nous commencerons par les yeux, parce que c'est là que se peint plus particulièrement la passion.

« PreviousContinue »