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YEUX.

Dans nos rapports sociaux, les yeux semblent les seuls interprètes de tous les mouvements de notre âme. C'est par eux que les affections du cœur et les conceptions de l'esprit se transmettent aux êtres avec lesquels nous sommes en rapport; et c'est sur eux aussi que l'attention de celui qui écoute s'attache plus particulièrement.

Le vieux Pline a dit que toutes les passions pouvaient se peindre par la seule expression du regard. En effet, chaque mouvement de l'âme lui donne un caractère particulier. Les yeux ternes sont couverts de larmes dans l'épanchement de la douleur; ils sont enflammés dans l'accès de la colère; ils sont brillants dans la joie. Ou, si nous voulons mieux les observer dans leurs fonctions particulières, nous les verrons dans la fureur, la rage, la vengeance, rouges, égarés, étincelants, roulant dans leur orbite avec une rapidité convulsive, et exhalant par leur vivacité toute la violence de ces passions.

Dans la haine, l'aversion, la jalousie, l'envie, la rancune: farouches et sombres, se retirant sous les paupières et les sour

cils avec la préméditation du crime, et laissant échapper par intervalle des lueurs sinistres qui semblent menacer d'un funeste embrasement.

Dans la mélancolie, la tristesse, l'ennui, la douleur, la langueur, l'abattement : d'une expression inerte, tombant languissants vers la terre, et présentant par leur constante immobilité l'expression d'une idée fixe, d'un sentiment pénible qu'aucun autre sentiment ne peut distraire.

Dans la gaieté, ils prennent un aspect de satisfaction particulière et semblent partager le sourire de la bouche; dans l'espérance, ils s'élèvent et roulent affectueusement sur eux-même

comme pour implorer d'une puissance supérieure l'accomplissement d'un vou. Dans l'amour et les passions qui en dérivent, cette rotation est encore plus marquée; elle s'accompagne souvent d'une larme furtive, d'une rougeur passagère sur les bords palpébraux, et manifeste un désir qu'elle fait passer dans l'âme de celui que nous voulons captiver. Cette expression est l'instrument séducteur que la femme particulièrement a reçu de la nature.

Dans toutes ces situations, qui manifestent les passions dans le regard, l'œil y concourt avec tous les muscles qui l'entourent: les glandes lacrymales, les paupières, les sourcils se soumettent à la même influence et jouent chacun leur rôle d'ensemble.

De ces expressions générales, les poëtes n'ont pas manqué de tirer leurs métaphores; ils appellent regard plaintif l'expression de la douleur et de la tristesse; yeux baissés, celle de l'humilité, de la modestie; œil serein, celle du contentement; œil fier, celle de la hardiesse.

Le peintre rend aussi d'une manière particulière les passions de ses sujets par l'expression des yeux. A ceux qui voudraient se convaincre de cette vérité, nous conseillons de consulter le Jugement universel de Michel-Ange. Quelle expression de joie dans le regard des bienheureux! Que de réjouissance dans celui des saints! et quelle horreur dans l'œil des damnés! La rage, la douleur, le désespoir, tous les sentiments ensemble si bien rendus dans ce recueil des passions humaines, dans cette œuvre unique en son genre, dans cette fresque surprenante qui fait l'admiration des artistes, la gloire éternelle de l'auteur, et la magnificence de la chapelle Sixtine de Rome, à laquelle ce riche dépôt est confié.

Pour offrir une dernière preuve qui soutienne l'assertion que nous avons émise sur l'expression des yeux, nous nous plaisons à transcrire quelques vers de Riccoboni, cet artiste si cher aux

Italiens, cet artiste qui fit si longtemps les délices des Parisiens, et qui a laissé de si agréables souvenirs de l'art représentatif:

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Senza degli occhi il tuo parlare è morto;

Senza degli occhi il tuo tacer non vale;
Senza degli occhi un cieco anderà storto;

Senti il timore, e l'occhio tuo dimesso
L'esprimerà; o senti un gran furore,
L'ardire allora in quel vedrassi impresso.

La vergogna daragli un certo errore;
E l'ironia un gaio adulterato,
Che disfido, a dipingerli un pittore.

L'amore un dolce sopra ogn' altro grato
La noja un mesto che non soffre doglia
L'indifferenza un quid inexplicato......

E cio che ti disgusta o che t'invoglia
E la gioia e la pena se le senti

Si vedran de'tuoi sguardi in sulla soglia.

« Sans l'expression de tes yeux, ton élocution serait nulle; << ton silence ne dirait rien; de même que sans tes yeux tu con« duirais tes pas incertains comme l'aveugle. Eprouves-tu la crainte, ton regard déconcerté l'exprimera; éprouves-tu une grande fureur, l'ardeur de tes yeux en sera le premier sym«<ptôme; la honte peindra sur eux l'égarement; l'ironie une « fausse gaieté; et je puis défier un peintre de reproduire toutes « ces expressions. L'amour peindra sur eux une douceur au« dessus de tout ce qu'on peut imaginer d'agréable; l'ennui, << une langueur qui n'est pas celle de la douleur; l'indifférence, « quelque chose d'inexplicable. Enfin ce qui te déplaît ou te charme, les plaisirs et les peines, si tu en éprouves, se retra« ceront toujours dans l'expression de ton regard.

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Le langage des yeux est d'autant plus expressif qu'il est toujours inséparable des mouvements et des impressions des sour

cils et du front, qui ne semblent agir que sous l'influence du regard. Nous pourrions dire que l'artiste qui étudie bien le jeu des yeux rendra plus facilement et avec vérité le détail des autres gestes; car il semble que tous les autres mouvements soient subordonnés à celui-là. On dirait que l'œil, placé à proximité du cerveau, est destiné à communiquer directement les impressions qu'il en reçoit aux membres les plus éloignés, et que ce premier ressort bien conduit doit servir de régulateur à tous les mouvements.

Quelques acteurs, ou plutôt grand nombre d'actrices, sont loin de comprendre que l'œil doit guider l'expression des sentiments, et prodiguent leurs regards séducteurs à des spectateurs préférés, plus qu'elles ne les soumettent à l'expression de leur rôle. En effet, quel intérêt secret pour le public que ces œillades, ces sourires gracieux qui font leurs ascensions périlleuses à travers la foule des spectateurs, et cela dans une scène de dépit, sous un trait de colère, ou sous l'influence de l'emportement? On ne saurait croire jusqu'à quel point ces contre-vérités ternissent le mérite d'une actrice, qui s'expose ainsi, par cette reprochable habitude, à exprimer l'amour quand elle doit rendre l'aversion; qui sourit amoureusement dans un moment de haine; qui lève les yeux dans une scène de modestie ou de honte; qui traduit en un mot toutes les passions par des impressions contradictoires.

Est-ce que, dans cet insouciant abandon, elle pense flatter son amour-propre, sa vanité, en voulant faire croire à une supériorité de talent qu'elle négligerait dans les rôles de peu d'importance? Qu'elle se détrompe : l'interprétation sévère qu'en fera un spectateur judicieux sera telle, que l'actrice ignorante cherche à cacher sous ce jeu celui qu'elle est incapable de rendre avec vérité.

L'acteur qui est bien pénétré de sa mission s'imagine qu'à la rampe de la scène s'élève une muraille au delà de laquelle son regard ne peut et ne doit point pénétrer.

SOURCILS.

A l'expression du regard se joint le mouvement des sourcils et des muscles qui les entourent, et ce mouvement n'est pas moins important que celui de la prunelle, et concourt plus puissamment à faire connaître la nature de la passion qui agite l'âme. En général, lorsque le sourcil se relève par le milieu, les passions cruelles et farouches agissent intérieurement; il se baisse dès qu'il y a concentration.

Il y a aussi à observer que lorsqu'on n'éprouvé qu'un seul mouvement intérieur, le sourcil est uni, comme dans la tranquillité ou l'admiration, et qu'il a une double expression quand deux mouvements contraires nous troublent. C'est ainsi que lorsqu'il y a étonnement et frayeur, les sourcils s'élèvent par les extrémités qui tiennent aux tempes, et se baissent en même temps sur le nez de manière à former une espèce d'accolade renversée ( ).

Dans toutes les passions agréables, telles que la joie, l'amour, la générosité, le sourcil s'élève par le milieu, tandis qu'il tombe sur la paupière quand il y a douleur concentrée ou tristesse, haine ou taciturnité. Les extrêmes de ces mouvements se remarquent très-distinctement dans le rire, où les sourcils sont trèsrelevés, et dans le pleurer, où ils sont extrêmement baissés.

FRONT.

Les rides qui se forment au front dépendent exclusivement du mouvement et de l'expression des sourcils. Dans les passions

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