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de crainte et d'amour quand la triste Isabelle chante : Robert, toi que j'aime! et surtout dans le Grâce! tant de fois répété, avec un accent si suppliant et si douloureux! Aussi de tels chefs-d'œuvre vivront à jamais.

Nous nous sommes sans doute trop étendus sur ce point, sans que nous ayons surtout parlé du caractère qui convient au désir. Nous avons déjà dit que nous ne lui en donnerions aucun qui lui fût particulier; mais que ce caractère devait être déterminé par celui de la passion que le désir même accompagne. Toutefois, en suivant l'analyse que nous allons en faire, on pourra lui appliquer l'accent qui lui est propre dans les diverses circonstances où il se présente.

DIVISION DU DÉSIR.

Pour faciliter l'étude du désir, nous le diviserons en deux points principaux :

1° Parce que nous pouvons désirer de posséder un objet, de l'acquérir, de satisfaire un besoin ou un penchant, et qu'alors nous dirigeons nos moyens vers le point où le désir nous pousse. Nous en voyons la preuve chez l'enfant qui veut des caresses; il tend ses bras, s'élève sur la pointe des pieds, offre sa bouche souriante aux lèvres maternelles et se jette follement dans ses bras. Tandis que le naufragé, placé sur la roche escarpée, à la vue de la voile qui passe sous ses yeux, s'incline, tend ses bras vers elle, et, persuadé enfin qu'elle vient à son secours, il se jette à la mer pour la rejoindre.

2° Parce que nous pouvons désirer de fuir un objet, de le rejeter, de le détruire et que nous cherchons alors à nous éloigner de cet objet. C'est ainsi que l'homme fuit à la vue du danger qui le menace; que, par des détours nombreux,

il cherche à éviter, à éloigner de lui l'importun qui l'obsède; qu'il court sur un adversaire et le terrasse.

De là nous admettrons deux espèces de désirs bien différents par leurs caractères. Les uns qui tendent à nous rapprocher d'un objet et que nous appellerons désirs d'attraction; les autres qui tendent à nous en séparer et que nous appellerons désirs de répulsion.

Cependant le désir peut rencontrer des modifications si nombreuses et si variées, les degrés et les teintes en peuvent être en si grand nombre, qu'il finit quelquefois par ne manifester que des affections faibles et peu déterminées; si bien qu'on parviendrait difficilement à en discerner l'expression et même à savoir distinguer à laquelle de ces deux classes il appartient réellement.

Nous ne négligerons point d'analyser ces modifications, et de destiner un chapître aux plus importantes.

Une étude non moins utile à faire dans la division des désirs, est celle de reconnaître leur nature, et la marche qu'ils suivent pour arriver à leur but.

Nous avons reconnu dans l'homme deux facultés qui semblent donner deux existences à son être, le corps et l'esprit, les membres et l'intelligence : l'une physique, l'autre morale. Par conséquent, le désir pouvant être de l'une ou de l'autre de ces deux natures, se rapportera indistinctement à des objets matériels ou immatériels.

Et alors le désir d'attraction pourra tendre à des choses physiques et perceptibles : comme l'eau pour celui qui a soif, les bijoux et les parures pour la coquette; ou bien à des choses invisibles ou idéales: comme la gloire pour l'ambitieux, la flatterie pour l'orgueilleux.

Cette même remarque peut être applicable aux désirs de répul

sion. Ce que nous désirons éviter ou détruire peut être perceptible et matériel: comme les bêtes féroces pour l'enfant timide, les armes pour le poltron; ou idéal : comme la calomnie pour l'homme juste, le blasphème pour le religieux, le remords pour le criminel.

Il ne résulte pas de ces observations que les moyens que nous employons pour satisfaire les désirs physiques, doivent être physiques aussi, ou intellectuels pour les désirs moraux. On suit indistinctement l'un ou l'autre moyen pour les deux natures de désirs, selon toutefois celui que le but exige, ou qu'il est dans nos dispositions d'adopter. Observons en effet les moyens qu'emploient d'un côté Démosthènes, de l'autre Horatius Coclés pour sauver leur patrie. Celui-ci brave les foudres des combats, s'élance à travers le sang et la mort; seul il s'oppose à une armée entière. Celui-là fait agir son esprit, recherche la solitude, veille et consacre ses nuits à la réflexion.

Nous nous occuperons ici principalement des moyens physiques. Les autres sont essentiellement du ressort de l'attention.

Toutes ces divisions regardent sans doute moins les arts dramatiques que la philosophie; mais si nous nous étendons sur ce point trop longuement et trop minutieusement, c'est pour procéder avec plus d'ordre et pour faire comprendre l'utilité de la logique à côté des règles de pratique. Ce n'est pas que nous ayons l'intention de donner autant de développement à toutes nos sections: les principes généraux que nous établissons ici, devant être applicables à toutes les passions, puisque dans toutes les passions il y a désir, il fallait que nous fussions méthodiques pour celle-ci, pour être plus brefs dans l'analyse des autres. D'un autre côté, et, comme nous l'avons dit, les matières que nous traitons doivent être reportées à

une série de problèmes dont la solution regarde le lecteur: il lui serait impossible d'en faire l'application, si nous évitions aussi le détail des raisonnements.

DIVISION DES MOYENS QU'ON EMPLOIE POUR ARRIVER
AU BUT DES DÉSIRS.

Pour satisfaire les désirs d'attraction, lorsqu'ils se rapportent à des objets matériels, ou à des êtres animés, on peut ou se porter soi-même sur l'objet et chercher à le saisir, comme le chasseur poursuit sa proie, comme le satyre lascif recherche la nymphe timide qui le fuit; ou bien attirer cet objet, soit en l'appelant, soit en l'attirant par des rapports sympathiques.

En effet, dans leurs fables ingénieuses, les poëtes ont donné à la sirène le pouvoir d'endormir le voyageur par son chant, afin de l'entraîner dans l'abîme et d'en faire sa pâture. Cela nous explique pourquoi le renard loue le corbeau, c'est-à-dire pourquoi le courtisan flatte l'amour-propre de son maître, quand il veut mériter ses bonnes grâces, ou en obtenir une faveur.

Mais on ne fait usage de ces derniers moyens, que lorsque des obstacles empêchent d'employer les premiers; soit que l'on ne puisse aborder l'objet sans le perdre à jamais, soit que l'on ait la certitude de ne pouvoir l'acquérir que par les détours; dans ce cas il y a désir concentré; car le désir libre va droit au but, et ne suit qu'une seule impulsion.

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