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lui faire, ou à en faire lui-même, sauf à conclure ensuite sur les bases réciproquement convenues.

Quant aux ministres en mission permanente, leurs lettres de créance leur servent ordinairement de pouvoirs, à moins qu'indépendamment de ces lettres on ne les ait munis d'un pouvoir spécial, pour une affaire ou une négociation particulière. Les ministres envoyés à un congrès ou à une diète n'ont pas ordinairement de lettres de créance (1), mais uniquement un plein-pouvoir qui leur sert à se légitimer, et dont ils échangent entre eux des copies vidimées, ou qu'ils remettent entre les mains du ministre directeur ou médiateur, s'il y a lieu (2).

Il n'est plus d'usage de munir un ministre du plein-pouvoir qui l'autorisait à traiter avec toutes les puissances, et que l'on appelait autrefois actus ad omnes populos (3).

(1) Cependant, et par exception, les ministres étrangers accrédités près la Confédération germanique, à Francfort, devaient être munis de lettres de créance qu'ils remettaient à la diète, organe de ce corps; ainsi que cela se pratiquait autrefois à l'ancienne diète de l'Empire, à Ratisbonne.

(2) Le protocole de la première séance et les traités signés par les ministres plénipotentiaires font mention de l'échange des pouvoirs.

(3) La reine d'Angleterre fit expédier un acte de ce genre à son secrétaire, d'Ayrest, qui résidait à La Haye, pour y traiter avec les ministres de tous les princes et États intéressés aux négociations de la paix d'Utrecht. Mémoires de LAMBERTY, T. VIII, p. 742.- La commission du fameux baron de Goertz était de la même nature. Ibid., T. IX, p. 655.

§ 20.

Des instructions (1).

Nous venons de voir que la marche de l'agent diplomatique est ordinairement tracée, soit dans ses instructions générales, soit dans ses instructions particulières; qu'il doit y chercher la règle de sa conduite et de son langage, et que son devoir est de s'y conformer (2). Dans certains cas, cependant, il pourrait se faire que les ordres qu'il a reçus fussent tels que leur ponctuelle exécution ne produisit point l'effet qu'on s'était proposé, ou même qu'elle en produisît un contraire, et que les conséquences en devinssent nuisibles. aux affaires de son souverain. En pareille occurrence, un ministre peut, et doit même, prendre sur lui de suspendre l'exécution des ordres qui lui ont été donnés, représenter les inconvénients qu'il y trouve, et en attendre de nouveaux pour agir; il pourrait même, selon l'urgence, risquer de s'écarter de ses instructions, pourvu qu'il n'engageât pas, toutefois, son gouverne

(1) Voy. T. II, chap. III, au titre Instructions, et chapitre IV, Correspondance ministérielle et diplomatique.

(2) Ces instructions sont trop variables pour qu'il nous soit possible d'en préciser la teneur. Nous nous bornerons à dire qu'on y trace la marche à suivre dans les négociations de toute nature; qu'on y renseigne le ministre sur le personnel de la cour où il est envoyé, sur les membres du corps diplomatique; qu'on y expose sommairement le système politique adopté, les relations plus ou moins amicales, les affaires pendantes ou récemment terminées; en un mot, tout ce qui peut servir de guide ou de règle au diplomate dans l'exercice de ses fonctions.

ment dans une voie opposée à sa politique générale, ou à ses intentions en ce qui concerne l'objet spécial de la négociation dont il est chargé. Mais avant de prendre une détermination aussi grave, qu'il en balance scrupuleusement tous les motifs, qu'il en pèse rigoureusement toutes les conséquences surtout, qu'il se tienne en garde contre tout entraînement; que son jugement reste froid, qu'il se défie également de la passion qui le trouble et de l'amour-propre qui le fausse. Si, tout examen fait, toutes considérations épuisées, il juge indispensable pour le bien des intérêts qui lui sont confiés de s'écarter de la lettre de ses instructions, de franchir la limite de ses pouvoirs, la conviction profonde qu'il agit pour le mieux l'enhardira à passer outre, approuvé par son gouvernement s'il a vu juste, exposé à un désaveu s'il s'est trompé (1).

(1) Lors des négociations pour la paix d'Amérique entre la France, l'Espagne et l'Angleterre, le roi d'Espagne avait exigé comme condition sine quâ non la restitution de Gibraltar contre un équivalent. Cet échange, d'abord accepté à Londres, y fut bientôt repoussé : le cabinet de Saint-James craignait le mécontentement qu'exciterait la restitution de cette place importante; elle offrit, pour prix du désistement, les deux Florides. Cet ultimatum fut communiqué au comte d'Aranda, ambassadeur d'Espagne. Il s'agissait de mettre fin à une guerre ruineuse. Le comte d'Aranda connaissait l'inflexible caractère de Charles III; il resta longtemps absorbé dans ses réflexions: mais la conviction qu'il avait de la nécessité pour son pays de faire la paix l'emporta : « Il est des moments où il faut oser jouer sa tête, dit-il en » rompant le silence; j'accepte les Florides à la place de Gibraltar, » quoique ce soit contraire à mes instructions, et je signe la paix. » Aranda avait prévu sa disgrace, mais cette pensée ne l'arrêta pas.

Voy. à ce sujet, dans l'ouvrage de G. DE RAYNEVAL, les exemples qu'il cite de Martigny, négociateur pour Louis XI, en 4478, et de Titley, ministre d'Angleterre en Danemark, en 4739. En dépassant les

Mais s'il est des cas où un ministre peut s'écarter de ses instructions, il est difficile de déterminer ceux où il pourrait ou devrait agir sans en avoir reçu. Il ne saurait, en effet, lier son souverain à son insu, prendre des décisions ou faire des démarches qui seraient de nature à engager sa dignité et ses intérêts. Pour s'y risquer, il faudrait qu'il connût assez son caractère, sa politique, ses relations générales avec les puissances et ses rapports particuliers avec chacune d'elles, les négociations secrètes qui pourraient être ailleurs entamées, pour qu'il n'eût pas à craindre de se tromper, de nuire, et d'être désavoué en prenant de son chef l'initiative. La prudence lui commande de ne rien hasarder, et, si on le provoque à s'expliquer, de déclarer franchement qu'il est sans ordres; les in– convénients qui peuvent résulter de cette réserve obligée, et des retards qui en sont la suite, ne doivent point l'emporter sur la prudence. La ressource ordinaire est de prendre ad referendum. Tout ce qui est possible, si le cas est urgent et la distance entre les deux cours considérable, c'est de rejeter ou d'accepter sub spe rati. Il est certain d'ailleurs que c'est nuire à l'avance au succès des négociations que d'assujettir le négociateur à trop d'entraves : c'est amoindrir la considération dont il a besoin, c'est lui ôter une part de son influence que de donner lieu de penser, à ceux qui traitent avec lui, qu'on se défie de son dévouement et de sa capacité.

limites de ses instructions, Titley obtint de la cour de Danemark de signer un traité dont le ministre de France, Chavigny, avait ordre d'empêcher la signature.

Les instructions sont générales ou spéciales; elles sont secrètes ou ostensibles (1); elles peuvent être données verbalement ou par écrit; comme elles peuvent être changées, étendues ou restreintes dans le cours

(1) Faute d'en avoir suffisamment étudié les termes, des hommes, d'ailleurs très-habiles, se sont trouvés, à leur grand étonnement, engagés dans des pas d'où ils n'ont pas toujours réussi à se tirer à leur avantage. Soit que la mauvaise foi ait voulu leur tendre un piége, soit qu'après coup on ait profité de la teneur de ces pièces pour faire retomber sur le négociateur les fautes de son gouvernement, soit enfin que celui-ci ait voulu le sacrifier au gouvernement étranger, le ministre a pu voir tourner contre lui tantôt l'ambiguïté des instructions dont on l'avait muni, tantôt la trop grande latitude des pleins-pouvoirs qu'il s'était plu à regarder comme un témoignage de la haute confiance de son gouvernement.

Il ne saurait donc être trop circonspect à cet égard. Rien de vague, rien de douteux ne doit subsister dans ces instructions sans une explication écrite de la main du secrétaire d'État de qui l'agent les a reçues; car il faut qu'il puisse prouver en tout temps qu'il s'y est littéralement conformé.

S'il arrivait que son gouvernement se refusât à lui fournir les éclaircissements dont il croirait avoir besoin, ou si, en les recevant, il acquérait la conviction de l'impossibilité de concilier les ordres qu'on lui donne avec les principes de l'honneur et son patriotisme, il ne doit s'en charger à aucun prix.

Ajoutons qu'il peut ne pas être sans inconvénient pour l'agent diplomatique de recevoir deux expéditions de ses instructions, dont l'une est rédigée pour être produite au besoin, et l'autre pour être tenue secrète et uniquement à l'usage du ministre.

S'il n'y avait entre les deux expéditions d'autre différence que de retrancher sur l'une d'elles ce que la personne à qui la communication doit être faite n'a aucun droit de savoir, sans pour cela que cette réticence l'induise en erreur, il ne saurait y avoir de la part du négociateur aucune hésitation à produire, au besoin, la pièce ostensible. Mais s'il s'agit d'user de cette apparence de franchise pour tromper déloyalement la bonne foi de celui avec qui l'on traite, jamais homme d'honneur ne consentira à recourir à de pareilles ruses; d'autant plus que l'on finit toujours par les découvrir et les flétrir.

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