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deux gouvernements, les vues et les tendances politiques de celui dont il devient l'organe; elles indiquent les intérêts permanents ou temporaires dont la sauvegarde est confiée à son zèle et à ses lumières.

L'historique des négociations entamées et pendantes, l'exposé des affaires courantes ou récemment terminées, la marche à suivre dans l'ordre régulier des relations, ainsi que dans les éventualités prévues ou imprévues, font nécessairement partie de ces instructions. On y joint d'ordinaire des renseignements utiles sur le personnel de la cour et les ministres, sur les influences occultes de l'entourage du prince ou celles des membres du corps diplomatique qui réside auprès de lui, et dont il importe de surveiller les rivalités et les intrigues.

Plus les instructions sont générales, plus l'agent qui les reçoit court le risque de devenir responsable des événements qu'il pourrait être appelé à interpréter et des questions qu'il prendrait sur lui de résoudre. Il est donc pour lui d'un intérêt puissant d'obtenir que les règles de conduite qui lui sont tracées soient suffisamment détaillées et le plus possible précises, afin de s'affranchir des hésitations qui l'empêcheraient, le cas échéant, de prendre en temps opportun une résolution décisive de peur d'outre-passer ses pouvoirs.

Ajoutons que dans ces directions données au ministre les intérêts commerciaux du pays qui l'envoie sont l'objet d'une recommandation particulière. Sur tout le territoire où s'étendent ses pouvoirs diplomatiques, il doit à ses nationaux, passagers ou sédentaires, protection et bienveillance.

Le gouvernement qui l'accrédite exige de son agent des comptes-rendus fréquents et fidèles qui l'instruisent de tout ce qu'il est intéressé à connaître. En général, l'Envoyé doit se souvenir que tout ce qui, de près ou de loin, dans le poste éminent qu'il occupe, touche à l'honneur et aux intérêts de son pays est de sa compétence directe et obligée, et qu'il ne saurait dès lors avec trop de zèle s'en montrer le gardien jaloux et vigilant.

Les instructions que reçoit le ministre à son départ peuvent être modifiées par la face mobile des affaires et la marche des événements: ces modifications deviennent alors l'objet de nouvelles prescriptions que le département des affaires étrangères transmet à son agent, et sur lesquelles celui-ci règle sa conduite autant que les incidents qui surgissent lui permettent de s'y conformer strictement.

INSTRUCTIONS.

Instructions envoyées par le duc de Choiseut, ministre des affaires étrangères de France, au baron de Breteuil, ambassadeur du roi à Stockholm (1). (1766.)

J'ai cru devoir, monsieur, vous dépêcher un courrier pour vous informer avec précision du système politique du roi relativement à la Suède, afin que vous dirigiez invariablement votre conduite d'après les instructions de S. M., et pour le plus grand avantage de son service.

Le roi désapprouverait, monsieur, que vous confiassiez à au

(1) La cour de Versailles n'ayant pu parvenir, lors de la diète de 1766, à obtenir la prépondérance sur le parti de la Russie et de l'Angleterre, le duc de Choiseul, abandonnant le système suivi jusque-là envers la Suède, expédia par courrier, au baron de Breteuil, l'instruction ci-dessus.

cun de nos amis, même au comte de Fersen et à M. de Scheffer, les vues que S. M. peut avoir relativement à la Suède; il faut marquer la plus grande confiance aux patriotes pour tout ce qui peut intéresser leur personnel, et témoigner la protection décidée que S. M. leur accorde à tous en général et à chacun en particulier, mais il faut se garantir peu à peu de l'abus qui s'est introduit à Stockholm de confier nos vues politiques à nos amis. Outre qu'un secret partagé est toujours fort mal gardé, il n'est pas invraisemblable que, dans un pays divisé par différents partis et par des factions opposées, on ne combine et même on ne confonde souvent les intérêts des puissances avec l'intérêt des particuliers, ce qui produit, pour le moins, par rapport aux projets qu'une puissance peut former et à la situation qu'elle veut prendre, des commentaires toujours inutiles, et ordinairement nuisibles à cette puissance.

La France, en se laissant aller aux circonstances du moment, a fait la faute d'exciter et de soutenir le parti qu'on appelle patriotique, pour enchaîner la puissance royale en Suède, établir dans ce royaume une administration métaphysique, et qui ne serait soutenable et possible qu'autant que tous les Suédois seraient aussi sages d'esprit que de mœurs; et l'on peut même avancer qu'avec cette sagesse les forces réelles de la Suède ne pourraient pas se soutenir sur un pied qui pût être utile aux alliés de cette couronne.

Le feu roi de Suède n'aimait pas la France d'inclination. Au lieu d'attendre patiemment sa mort, l'on a suivi et outré, pour détruire son pouvoir, les principes qu'on avait adoptés depuis la mort de Charles XII. Dès lors, le roi n'a plus eu la Suède pour alliée de sa couronne, mais uniquement le parti que l'on appelle patriotique. Qu'est-il arrivé? c'est que la guerre de la Suède contre la Russie, entreprise par l'influence de la France, a été le premier pas de la décadence suédoise. Depuis ce temps-là, on ne s'est occupé à Stockholm qu'à combattre les sentiments du roi de Suède, et, en les combattant, à détruire les intérêts du royaume. Lorsque le prince actuellement régnant est monté sur le trône de Suède il était naturellement disposé en faveur de la France; il avait épousé une princesse sœur du roi de Prusse, alors notre

ami intime. Le roi de Prusse, qui avait du crédit sur sa sœur, ne devait songer qu'à se servir, ainsi que nous, des forces suédoises contre la Russie et l'Autriche, qui étaient nos ennemies; mais loin de suivre cette route favorable nous n'étions pas liés avec la couronne de Suède, et nos amis patriotiques, par des sentiments personnels, nommément le comte de Tessin, voulurent donner des dégoûts à la reine de Suède; aussi, ce qui était inévitable, cette princesse hautaine et ambitieuse s'occupant du soin de sa gloire et de son pouvoir, le parti patriotique ne s'occupa que de celui de la réprimer. Il y eut deux factions dans le royaume; et la France s'embarrassa dans ces deux partis, y dépensa beaucoup d'argent, sans songer que c'étaient les troupes, les vaisseaux et le commerce de la Suède qu'il lui fallait, et non pas que le parti patriotique ou celui de la reine eût le dessus.

Dans la dernière guerre, on a cherché à tirer quelque avantage de notre alliance avec la Suède. On forma un projet dont on convint avec elle, et dont l'exécution aurait été très-avantageuse à l'alliance et principalement à la France si les Suédois avaient pu conquérir la Poméranie prussienne. La Suède se serait trouvée une puissance redoutable sur les derrières de l'Empire, et dans la même position où était Gustave. Le roi de Prusse, attaqué par l'Autriche, la Russie et la France, ne devait vraisemblablement pas pouvoir faire tête à une armée de Suédois; jamais projet ne fut combiné avec une plus grande apparence de succès, et il échoua, non par les forces du roi de Prusse, mais par les intrigues de Stockholm. Vous êtes à portée, monsieur, d'être instruit des manœuvres qui ont arrêté, aux yeux de toute l'Europe, le militaire suédois dans cette guerre.

Je conclus de l'expérience que les faits nous ont procurée qu'une Suède aristocratique, démocratique ou utopique, ne serait jamais une alliée utile; et que, s'il est de l'intérêt de la France de conserver ses liaisons et son intimité avec cette couronne, il faut augmenter le pouvoir monarchique en Suède, de manière que le roi ait la principale influence sur les alliances étrangères, ou bien assurer l'état des sénateurs, de manière que dans aucune circonstance ils ne puissent être déplacés, qu'ils partagent, comme conseil, la puissance souveraine avec le roi, et que ces états ne

soient assemblés qu'en vue seulement de la quotité et de la distribution des contributions à fournir au trésor royal, et pour les représentations sur les améliorations de l'intérieur du pays.

Dans l'alternative de ces deux situations, la Suède ne sera pas toujours sans doute bien disposée pour la France; mais cette puissance ne nous sera pas contraire, et l'argent que le roi dépensera pour les Suédois aura un usage profitable pour le service de Sa Majesté; au lieu qu'à présent il est impossible de lui présenter une utilité dans son alliance avec la Suède, tandis qu'on ne lui offre chaque jour qu'une augmentation de dépense énorme pour des intérêts particuliers, lesquels, même en réussissant, ne produisent aucun effet politique, et ne nous garantissent pas d'avoir peu d'années après les mêmes dépenses à faire, avec l'incertitude du succès.

Le roi, après une mûre réflexion sur son système politique en Suède, a jugé que le bien de son service était de revenir sur les préjugés qui, jusqu'à présent, avaient obscurci les vrais intérêts de la France en Suède. S. M. a cru qu'il ne lui convenait pas d'être liée, dans ce royaume, avec un parti qui, d'après l'expérience, ne se trouve pas et ne peut se trouver toujours le plus fort. Elle veut donc diriger toutes ses démarches à Stockholm sur un plan solide, et le roi a pensé que le meilleur serait de profiter de la circonstance des troubles actuels pour rendre au roi de Suède l'autorité que les précédentes diètes lui ont enlevée. Il serait donc à propos d'engager nos amis, et ceux qui sont désignés sous le nom de chapeaux, à concourir à nos vues; mais ils y seront aussi opposés que le sont réellement les partisans de la Russie, qui certainement n'ont pas le projet de donner de l'autorité au roi de Suède : car, sur ce point, il n'y a pas de division dans les deux partis.

Nos amis vous diront, monsieur, qu'il faut attendre la fin de cette diète, et ensuite travailler à en assembler une autre dans laquelle, nos projets étant mieux préparés, nos amis auront un avantage marqué sur leurs adversaires. Je ne suis pas étonné que l'ambassadeur du roi sur les lieux, travaillant depuis si longtemps l'esprit du parti auquel il s'est attaché, ne s'échauffe pas des mêmes idées contre la faction qu'il a à combattre, et qui pré

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