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tisan, le bourgeois, l'hypocrite, l'homme du monde'. Il est resté au-dessous, dans la comédie d'intrigue, dans la peinture des grotesques, dans la représenta-` tion des ridicules trop temporaires ou des vices trop généraux. Si quelquefois, comme dans l'Alchimiste, il a réussi par la perfection de l'intrigue et la vigueur de la satire, il a échoué le plus souvent par la pesanteur de son travail et le manque d'agrément comique. Le critique en lui nuit à l'artiste; ses calculs littéraires lui ôtent l'invention spontanée; il est trop écrivain et moraliste; il n'est pas assez mime et acteur. Mais il se relève d'un autre côté; car il est poëte; presque tous les écrivains, les prosateurs, les prédicateurs eux-mêmes le sont en ce temps-là. La fantaisie surabonde, et aussi le sentiment des couleurs et des formes, le besoin et l'habitude de jouir par l'imagination et par les yeux. Plusieurs pièces de Jonson, l'Entrepôt des Nouvelles, les Fêtes de Cynthia, sont des comédies fantastiques et allégoriques, comme celles d'Aristophane. Il s'y joue à travers le réel et au delà du réel, avec des personnages qui ne sont que des masques de théâtre, avec des abstractions changées en personnes, avec des bouffonneries, des décorations, des danses, la musique, avec de jolis et riants caprices d'ima

de

1. Ecole des Femmes, Tartuffe, Misanthrope, Bourgeois gentilhomme, Malade imaginaire, Georges Dandin.

2. Analogue aux Fourberies de Scapin.

3. Analogue aux Fâcheux.. 4. Analogue aux Précieuses. 5. Analogue aux pièces de Destouches.

gination pittoresque et sentimentale. Par exemple, dans les Fêtes de Cynthia, trois enfants arrivent, se disputant le manteau de velours noir que d'ordinaire l'acteur met pour dire le prologue. Ils le tirent au sort; l'un des perdants, pour se venger, annonce d'avance au public tous les événements de la pièce. Les autres l'interrompent à chaque phrase, lui mettent la main sur la bouche, et tour à tour, prenant le manteau, entament la critique des spectateurs et des auteurs. Ce jeu d'enfants, ces gestes, ces éclats de voix, cette petite querelle amusante ôtent au public son sérieux, et le préparent aux bizarreries qu'il va voir.

Nous sommes en Grèce, dans la vallée de Gargaphie, où Diane' veut donner une fête solennelle. Mercure et Cupidon y sont descendus, et commencent par se quereller. « Mon léger cousin, aux talons emplumés, qui êtes-vous, sinon l'entremetteur de mon oncle Jupiter? le laquais qu'il charge de ses commissions, qui, de sa langue bien pendue, va chuchoter des messages d'amour aux oreilles des filles libres de leur corps? qui chaque matin balaye la salle à manger des dieux, et remet en place les coussins qu'ils se jetteront le soir à la tête"? » Voilà des dieux de bonne humeur. Écho, réveillée par Mercure, pleure le beau jeune homme « qui, main

1. Entendez la reine Elisabeth.

2. My light-feather-heel'd coz, what are you any more than my uncle Jove's pander? a lacquey that runs on errands for him and can whisper a light message to a loose wench, with

tenant transformé en une fleur penchée, baisse sa tête repentante, comme pour fuir la source qui l'a perdu, dont les chères gràces se sont ici dépensées sans fruit comme un beau cierge consumé dans sa flamme. Que la source soit maudite, et que tous ceux dont son eau touchera les lèvres, soient épris, comme lui, de l'amour d'eux-mêmes'. » Les courtisans et les dames y boivent, et voici venir une sorte de revue des ridicules du temps, arrangée, comme chez Aristophane, en farce invraisemblable, en parade brillante. Un sot prodigue, Asotus, veut devenir homme de cour et de belles manières; il prend pour maître Amorphus, voyageur pédant, expert en galanterie, qui, à l'en croire lui-même, « est d'une essence sublime et raffinée par les voyages, qui le premier a enrichi son pays des véritables lois du duel, dont les nerfs optiques ont bu la quintessence de la beauté dans quelque cent soixante-dix-huit cours souveraines, et ont été gra

some round volubility? one that sweeps the gods' drinking room every morning and set the cushions in order again, which they threw one at another's head over night?

1.

(Cynthia's Revels, acte I, sc. I.)

See, see the mourning fount, whose springs
Th' untimely fate of that too beauteous boy weep yet,
That trophy of self-love, and spoil of nature,

Who, now transform'd into this drooping flower,
Hangs the repentant head, back from the stream...
Witness thy youth's dear sweets here spent untasted,
Like a fair taper with his own flame wasted!...

But with thy water let this curse remain,
As an inseparate plague, that who but taste
A drop thereof, may with the instant touch,
Grow dotingly enamour'd on themselves.

(Ibid.)

tifiés par l'amour de trois cent quarante-cinq dames, toutes de naissance noble, sinon royale; si heureux en toute chose que l'admiration semble attacher ses baisers sur lui'. » Asotus apprend à cette bonne école la langue de la cour, se munit comme les autres de calembours, de jurons savants et de métaphores; il lâche coup sur coup des tirades alambiquées, et imite convenablement les grimaces et le style tourmenté de ses maîtres. Puis quand il a bu l'eau de la fontaine, devenu tout à coup impertinent, téméraire, il propose à tous venants un tournoi de belles manières. Ce tournoi grotesque se donne devant les dames: il comprend quatre joutes, et chaque fois les trompettes sonnent. Les combattants s'acquittent tour à tour du salut simple, de la révérence empressée, de la déclaration solennelle, de la rencontre finale. Dans cette bouffonnerie grave, les courtisans sont vaincus. Le sévère Critès, moraliste de la pièce, copie leur langage et les perce de leurs armes. Puis en déclamations grandioses, il châtie « la vanité mondaine et ses beautés fardées, que de frivoles idiots adorent, qu'ils poursuivent de leurs

1. But knowing myself an essence to sublimated and refined by travel.... able to speak the mere extraction of language, one that was your first that ever enrich'd his country with the true laws of duello, whose optics have drunk the spirit of beauty in some eight score and eighteen prince's courts where I have resided, and been there tortunate in the amours of three hundred forty and five ladies, all nobly, if not princely descended.... In all so happy, as even admiration herseli doth seem to fasten her kisses upon me.

(Ibid.)

appétits aboyants et altérés, toujours en sueur, hors d'haleine, dressés sur leurs pieds pour saisir ses formes aériennes, à la fin étourdis, pris de vertige, et achetant la joyeuse démence; d'une heure par les longs dégoûts de tout le temps qui suivra1.» Alors, pour achever la défaite des vices, paraissent deux mascarades symboliques représentant les vertus contraires. Elles défilent gravement devant les spectateurs, en habits splendides, et les nobles vers qu'échangent la déesse et ses compagnes, élèvent l'esprit jusqu'aux hautes régions de morale sereine, où le poëte le veut porter. « La chasseresse, la déesse pudique et belle a déposé son arc de perles et son brillant carquois de cristal; assise sur son trône d'argent, elle préside à la fête, » et contemple avec une majesté tranquille les danses qui s'enroulent et se développent devant ses pieds. A la fin, ordonnant aux danseurs de se démasquer, elle

1.

O vanity,
How are thy painted beauties doted on,
By light and empty idiots! How pursued

With open and extended appetite!

How they do sweat, and run themselves from breath,

Raised on their toes to catch thy airy forms,

Still turning giddy, till they reel like drunkards,

That buy the merry madness of an hour,

With the long irksomeness of following time!

2.

(Ibid.)

Queen and huntress, chaste and fair

Now the sun is laid to sleep,

Seated in thy silver chair,

State in wonted manner keep...

Lay thy bow of pearl apart,

And thy crystal shining quiver,
Give unto the flying hart

Space to breathe, how short soever.

(Acte V, sc. III)

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