I I. QUELS accens divins fe font enten dre? Quel jour pur & tranquille femble effacer les ténèbres ? Suis-je aux portes de l'Olympe, ou dans la trifteffe du trépas? Les voûtes infernales ne retentiffent plus du défefpoir des coupables! Les fanguinaires Danaïdes, le facrilége Sifiphe célèbrent la clémence des Furies; Tifiphone frémit, tout l'Enfer tremble & foupire, & la mort reffemble à la vie ! Oui, c'est le fils de Calliope, il appelle Euridice, il implore le Dieu terrible qui vient de lui ravir l'époufe la plus tendre. Quoi tout renaît, tout femble jouir en des lieux où la derniere exiftence ne marquoit que des tourmens, & j'en fuis l'objet ! Ah! témoignage unique d'une fidélité ignorée des hommes & des Dieux. Mais que vois-je ? le cifeau d'Atropos levé fur le fil de tes jours!... Arrêtez, Déeffes implacables, Filles des Deftins irrités; pardonnez un effort fublime que l'amour, ce Dieu plus puissant que vous-mêmes, a permis. Vivant au milieu de la mort! Orphée! Quoi! tout ce que j'aime feroit livré?... Prend garde, cher Époux : vois ces abîmes, ces fupplices, recule, entend ces chaînes effroyables, crains les flots brûlans du Phlégéton... Non, demeure un inf tant pour éprouver encore combien mon ombre fidelle fçait encore aimer ! Tu marches au flambeau des Amours, & des Cieux incorruptibles vont t'éclairer. Laiffe fur ta gauche les gouffres infernaux à ta droite fleuriffent ces champs fortunés, où, morte à toute la nature, je fens déja la vie... Moi, fenfible! Affranchie des fenfations hu : maines, je ne puis t'aimer que d'un fentiment célefte. En moi il n'eft refté que ton image immortelle, & mon ame n'est que l'amour. Que dis-je ? Tranfports, délices, douces fureurs, qu'êtes vous devenus? Les Dieux ne m'ont laiffé que le defir de te rendre heureux; & fatisfait de mes froids embraffe mens, tu ne veux que mourir de tendreffe & réunir nos ames: non, tes deftins font remplis, ma mort a payé pour tous deux. Hâte-toi, cher Orphée, vole dans l'Élifée, à ta voix les monftres des Enfers étonnés, attendris, fe reprochent déja le plus beau sentiment de l'immortalité. Dieux juftes! vos rigueurs m'avoient caché vos bienfaits : je vais donc revoir, entendre confoler cet illuftre Argonaute que les écueils du Pont-Euxin, & les perfides Syrenes ont respecté ! il vient conquérir encore.... Hélas! une ombre plaintive, un fouffle agité, mais fidelle. I I I. J'ERROIS 'ERROIS encore dans cet espace immenfe qui fépare l'Élifée du Tartare j'y demandois Orphée aux ombres malheureuses; mes plaintes, mes foupirs fatiguoient les fombres échos, & mon oreille attentive n'entendoit que des cris, mes yeux déchirés ne voyoient que des larmes, fpectacle déplorable à des regards amis de la vertu ! J'appoftrophois tous les Dieux des Enfers, j'allois accuser le fort du crime des humains... Les Dieux! s'écrie une ombre coupable, le fort! Vois cette main fermée, elle cache un elle cache un foible oifeau: eft-il mort ou vivant? Si le deftin décide, je démens fon arrêt, & l'existence est à mon choix. Va, malheureux, le piége eft groffier, ce principe eft im pie, fa conféquence abfurde & l'endurciffement de ton cœur eft le fupplice le plus affreux. Je fuyois.... Arrête, m'a-t-il dit: défie-toi du fonge de la vie, la mort est une erreur ce que tu nommes ton époux, n'eft aux Enfers ni dans les Cieux, tu crois aimer, je crois fouffrir: l'être réel eft le néant. O cher Orphée ! que l'homme eft dangereux à l'homme ! Quel temps il fçait choifir pour émouvoir une ombre ! Mais quel bien que les paffions! Quelles font néceffaires à la fragilité même ! De retour à la mort, dépouillée des facultés fenfibles, dans quel doute affreux aurois-je pu tomber, fi mon ame douée d'une fuprême intelligence, enivrée de l'amour le plus pur, n'eut reconnu les Dieux à leurs bienfaits? IV; |