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de sa valeur, un mouvement si salutaire, en faisant relire à quelques personnes le plus vrai, le plus naturel et le plus morat des poètes dont s'honore l'antiquité.

Puissé-je, en tout cas, ne pas rester trop au-dessous de ma tâche ! Puisse ma main téméraire ne pas briser, en y touchant, ces ornements si précieux et si délicats de la plus belle des couronnes poétiques.

ANDROMAQUE.

Le personnage par lequel nous inaugurons notre étude nous a paru mériter à plus d'un titre les honneurs de cette sorte de préséance. Célébrée à diverses époques par des poètes du premier ordre (1), appréciée avec éloge par plus d'un critique éminent (2), Andromaque se recommandait encore à notre attention par l'importance du caractère qu'elle représente. L'épouse d'Hector et la mère d'Astyanax n'est rien moins, en effet, dans l'Iliade, que le type même de. l'épouse et de la mère. Le poète, tout en revê

(1) Euripide, Virgile, Sénèque, Racine. (2) Patin, Saint-Marc-Girardin, etc,

tant la plupart de ses héroïnes (1) de cette double qualité, a visiblement réservé pour celle-ci le privilége d'en être l'expression la plus parfaite et la plus haute personnification.

SI

Il est un moment unique dans la vie de la mère et de l'épouse, où ce double caractère atteint, pour ainsi dire, toute sa plénitude et brille de son plus vif éclat. C'est le moment où, récemment engagée sous les lois de l'hymen, et tandis que son amour conserve encore toute sa fraîcheur, toute sa naïveté, elle tient déjà suspendu à son sein le premier fruit de son union. Son cœur d'amante se dilate et s'élargit pour faire place au sentiment maternel; sa puissance affective est doublée, et double aussi est son bonheur. Voyez son regard caressant errer de son enfant à son époux, tout empreint des joies profondes qui inondent son âme. De ces deux êtres qui sont pour elle l'univers

(1) Pénélope, Arété, Hécube.

entier, ne lui demandez pas quel est celui qu'elle chérit le plus : tout ce qu'elle peut dire à cette heure fortunée, c'est qu'il n'y a ni dévouement, ni sacrifice, dont elle ne fût capable et qu'elle n'accomplit même avec bonheur pour son époux et son enfant. L'Andromaque d'Homère en est à ce moment plein de charme et . d'intérêt. Il n'y a pas longtemps qu'Hector l'a reçue vierge dans son palais, et Astyanax, beau comme la plus brillante étoile, est né de cet hymen (1). Aussi, comparez cet aimable groupe à celui que forment Priam, Hécube et ses dixneuf fils, ou même à celui d'Ulysse, Pénélope et Télémaque, et dites de quel côté s'exhale le plus suave parfum d'amour et de maternité.

A cette loi de la nature qui veut que les affections d'Andromaque soient les plus vives et qu'elle les concentre plus que toute autre sur son époux et son enfant, il faut joindre encore une circonstance extérieure qui contribue aussi pour sa part à ce même résultat ; c'est que, grâce au glaive d'Achille et aux flèches de Diane, elle n'a plus ni patrie ni famille (2). Achille, après avoir dévasté la superbe Thèbes de Cilicie, fit périr son père Eetion et massacra ses sent frè

(1) II., L. VI, 401.

(2) II., L. vi, 414 et seq.

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