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Junon; cette frégate l'amena sur l'Orient; on sentit la nécessité d'agir promptement, soit pour arracher Alexandrie aux Anglais, soit pour mettre notre escadre à couvert d'un combat qui eût été très-inégal dans le désordre d'un premier mouillage sur un fond inconnu.

La flotte Anglaise a joué de malheur, elle nous a manqué sous la Sardaigne, elle a manqué ensuite le convoi de Civita Vecchia, composé de 57 bâtiments, et portant 7000 hommes d'Italie. Elle n'est arrivée devant Malte que cinq jours après que nous avons quitté cette Ile; elle est arrivée devant Alexandrie deux jours trop tôt pour nous y rencontrer. Il est à presumer qu'elle est montée jusqu'à Alexandrette, croyant que c'est là que doit s'opérer le débarquement pour la conquête de l'Inde. Nous la verrons enfin, mais nous sommes mouillés de manière à tenir tête à une flotte double à la nôtre,

Telle a été pourtant la position critique où nous nous sommes trouvés le 13 au matin, que quelque prompt que fut le débarquement, nous pouvions être surpris par les Anglais au milieu de l'opération. Aussi dès quatre heures du soir, le Général en Chef étoit-il sur une galère avec son Etat-Major, environné des canots et chaloupes des bâtiments qui avoient envoyés des détachemens pour la descente.

Le 14 au matin, le débarquement s'est opéré sur le fort appellé Le Marabou, à deux lieues à l'ouest d'Alexandrie. Point de résistance! pas un canon au Marabou! La troupe s'achemine par pelotons vers la ville; les traîneurs ou ceux qui s'écartent, sont attaqués par des partis d'Arabes, et de quelques Mamelouks qui voltigent çà et là. Il y a des combats particuliers où nous perdons quelques hommes. Arrivés à la ville, nos braves

éprouvent de la résistance. Des canons de 3 et 4 (et nous n'en avions pas encore) des carabines, des pierres, tout annonce la resolution de se défendre. Le Général Kleber est blessé à la tête, le Général Menou en plusieurs endroits. Mais à onze heures nous étions maîtres d'Alexandrie, et les tirailleurs qui se défendoient par les fenêtres étoient ou cachés ou tués. Les Mamelouks et une grande quantité d'Arabes s'étoient refugiés dans le désert. Restoit une partie des habitants fort étonnés qu'on ne leur coupât pas le cou, et lisant avec extase la procla mation que le Général en Chef avoit fait imprimer en Arabe, et que vous lirez surement dans les papiers publics.

Cette proclamation a donné lieu à deux singularités remarquables. La veille nous avions pris quelques Turcs et Arabes que nous avions retenus à bord; Il s'agissoit de calmer leur imagination et d'en faire des apôtres. Ce fut un prêtre Maronite de Damas (Chrétien comme nous) qui fut chargé de les leur lire et d'y faire un petit commentaire. Quand vous verrez la proclamation, vous jugerez comme ce rôle lui alloit.

Le jour de la descente, le contre Amiral Turc, qui étoit dans le port d'Alexandrie avec la Caravelle (gros vaisseau du Grand Seigneur) destiné à percevoir les tributs de l'armée, envoya à bord de l'Orient son Capitaine de Pavillon avec un présent de deux moutons, pour s'informer des projets de l'armée navale; on lui donna à lire la proclamation; il s'en excusa sur ce qu'il ne savoit pas lire l'Arabe, on y suppléa. Chaque passage qui traitoit de l'insolence des Mamelouks le faisoit bondir de joie. Il demanda des proclamations pour la répandre, et assura que le contre Amiral qui représentoit le Grand Seigneur, donneroit à chacun l'ordre de bien accueillir

les Français; enfin il se retira très-satisfait après avoir pris le caffé et mangé la confiture. La Caravelle est encore dans le port avec son Pavillon de commandement.

Le 16, je descendis à Alexandrie avec l'Amiral; ce qui avoit resté d'habitans, ainsi que les Arabes de la campagne, me parurent assez bien remis de leur frayeur, et assez confiants. On voyoit dans le Bazar (marché) des moutons, des pigeons, du tabac à fumer, et surtout force barbiers qui mettent la tête du patient entre leur genoux et qui semblent plutôt prêts à la décoler, qu'à lui faire sa toilette. Ils ont cependant la main fort légere. Je vis aussi quelques femmes, elles sont affublées de long vêtemens qui cachent absolument leurs formes, et qui ne laissent découvert que les yeux, à peu près comme les habillements des pénitents de nos provinces méridionales.

Cette ville où l'on dit qu'il reste 10,000 habitans n'a de l'ancienne Alexandrie que le nom, encore les Arabes l'appellent-ils Scanderia. Les traces de son enceinte annoncent qu'elle étoit fort grande et qu'elle a bien pu contenir les 300,000 ames que les historiens lui donnent. Mais le despotisme, l'abrutissement qui l'a suivi, et enfin la découverte du Cap de Bonne Espérance l'ont successivement reduit à l'étate misérable où on la voit.

C'est un amas de ruines où l'on voit telle maison bâtie de boue et de paille, adossée à des tronçons de colonnes de granit. Les rues n'y sont pas pavées: l'image de la destruction ressort bien davantage à la vue de deux monuments qui seuls ont traversé intacts les siècles qui ont tout dévoré autour d'eux. C'est la colonne de Pompée et qui a été élevée par Sévère; je ne l'ai vue qu'à une certaine distance, mais j'ai vu de près et mesuré de l'œil l'obélisque appellée l'aiguille de Cléopatre; elle

est d'une seule pierre de granit très-bien conservée, elle m'a paru avoir 72 pieds de hauteur, 7 à sa base, ek 4 vers le sommet; elle est surchargée d'hiérogliphes sur ses quatre faces. On voit çà et là quelques datiers, arbres tristes, qui ressemblent assez de loin au pin, dont la tige a été dépouillée jusques vers le sommet.

Tel est l'abord de cette terre dont l'intérieur est si fertile, est qui sous un gouvernement éclairé peut voir renaître les siècles d'Alexandre et des Ptolomées.

Arrivés au quartier Général à l'extrémité de la ville, nous y trouvâmes un mouvement, un air de vie qui y étoit inconnu depuis longtems, des troupes qui débarquoient, d'autres qui se mettoient en marche pour traverser le désert vers Rosette. Les Généraux, les soldats, les Turcs, les Arabes, les chameaux, tout cela formoit des contrastes qui peignoient au naturel la Révolution qui alloit changer la face de ce païs.

Au milieu de cette confusion paroissoit le Général en Chef, réglant la marche des troupes, la police de la ville, les précautions sanétaires contre la peste, traçant de nouvelles fortifications, co-ordonnant les mouvements de l'armée navale avec ceux de l'armée de terre, dépêchant avec des Arabes soumis des proclamations aux tribus épouvantées. Un grand exemple frappa dans ce moment; un militaire fut amené qui avoit enlevé un poignard à un Arabe paisible; le fait vérifié en un instant, le militaire fut fusillé sur la place.

Aussi dès le lendemain une tribu entière de trois mille Arabes envoya-t-elle au Général en Chef des députés qui jurèrent avec lui, sous peines de l'Enfer, amitié entre les deux nations. Ils ramenèrent des prisonniers parmi les quels il se trouva une femme, ils l'avoient battues. Cette tribu veut fournir des soldats tout armés, d'autres

imiteront surement cet exemple. Guerre aux Mamelouks! paix aux Arabes! tel sera le cri qui grossira nos armées et qui balayera devant nous les oppresseurs de cette partie du monde.

.. Je suis forcé de finir, le bâtiment part. relu pour voir si on a fidelement copié. Adieu.

Je n'ai pas Suppléez y.

JAUBERT.

TRANSLATION.

L'Orient, off Aboukir, July 8.

From JAUBERT,* Commissary, &c.

HERE we are, my dear Jaubert, on the coasts of Egypt. Our brave troops have already got footing in its territories, and every thing announces that ere long the improvident despotism of the Mameloucs, and the apathy of the Egyptians, will be succeeded by a creative government, and by a spirit of emulation hitherto unknown to

its inhabitants.

We are masters of Alexandria. On our march we seized on Aboukir and Rosetta, and are consequently in possession of one of the principal mouths of the Nile.

*It appears from the next letter, which is under the same sig nature, and which the reader will find well worthy of his serious attention, that Jaubert was Commissary to the fleet. The cover of this letter is either lost or mislaid, but it was probably ad< dressed to his brother, one of the generals of the French army in Italy.

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