Page images
PDF
EPUB

No. IV.

A bord de l'Orient, le 21 Messidor, an 6. L'Amiral BRUEYS, Commandant les Forces Navales de la République dans la Méditerrannée, au Ministre de la Marine et des Colonies.

JE

Citoyen Ministre,

E vous ai écrit de Malte en date du 26 Prairial; je vous rendois compte de l'arrivée de la flotte sur ce parage, et de la prise de l'isle. "L'armée et le convoi étoient sous voile le 1er Messidor, et le 13 suivant nous arrivâmes devant le port-vieux d'Alexandrie.

'Je m'étois fait précéder par la frégate la Junon pour aller prendre le Consul, ce qui réussit parfaitement. Le Citoyen Magallon neveu arriva le 13, et nous dit que le 10, une escadre Anglaise s'étoit présentée en ligne de bataille devant le port d'Alexandrie, où elle avoit detaché un brick, et qu'à son retour cette escadre avoit dirigé sa route dans le N. E. On l'avoit jugé composée de quatorze vaisseaux de ligne.

Le Consul nous dit qu'on s'attendoit depuis longtems à l'arrivée des François; qu'il y avoit beaucoup de fermentation et une grande inquiétude dans le pays.

Le Général en Chef désira être débarqué sur le champ. Je fis mouiller l'armée et le convoi sur la côte, et dans la nuit du 13. Six mille hommes furent mis à terre dans une anse à l'Ouest du port-vieux auprès d'un château nommé Le Marabou, distant d'environ deux lieues de la ville. Personne ne s'opposa à la descente.

Le 14 à midi, nos troupes étoient dans la ville, et trois heures après le fort se rendit. Il y eut quelque résistance à la muraille qui entoure la ville, mais elle fut bientôt escaladée. On tira quelques coups de fusil dans les rues par les fenêtres. Le fort tira quelques coups de

canon, et bref, tout se rendit.

Je débarquai toutes les troupes et les effets appartenant à l'armée de terre, et le 19 ayant été reconnu que les vaisseaux ne pouvoient pas entrer dans le port à cause du peu de profondeur qu'il y a à l'entrée, je fis mouiller le convoi et les Venitiens, et je mis sous voile pour aller mouiller à la rade de Bequier, avec les treize vaisseaux et trois frégates.

J'y arrivai l'après midi, et je formai une ligne de bataille à d'encablure de distance. Le vaisseau de tête le plus près possible de l'écueil qui nous reste dans le N.O. et le reste de la ligne formant une ligne courbe le long des hauts-fonds de manière à ne pas être doublé dans le S. O. Cette position est la plus forte que nous puissions prendre dans une rade ouverte, où l'on ne peut pas s'approcher assez de terre pour y établir des batteries, et où deux escadres ennemies peuvent rester à la distance qui leur convient.

Nos troupes sont entrées hier 19 à Rosette, et l'armée est en marche pour le Caire.

Nous faisons entrer dans le Nil le plus de bâtiments légers possibles, et le Général en Chef m'a demandé le Chef de Division Perrée pour les commander. Cette flotille a fait route ce matin pour essayer de passer sur la barre de Rosette. Vous voyez que nous marchons à la conquête de l'Egypte à pas de géant.

Il est fâcheux qu'il n'y ait pas un port où une escadre puisse entrer; mais le port-vieux tant vanté est fermé

par des rescifs hors de l'eau, et sous l'eau, qui forment des passages fort étroits, et entre lesquels il n'y a que 23 pieds, 25 et 30. La mer y est ordinairement élevée, et vous voyez qu'un vaisseau de 74 seroit fort exposé, d'autant qu'il seroit brisé un quart d'heure après y avoir touché. J'ai offert, pour satisfaire au desir du Général en Chef, dix mille francs au pilote du pays qui entreroit l'escadre; mais aucun n'a voulu se charger que d'un bâtiment qui tireroit au plus vingt pieds d'eau. J'espère cependant, qu'on parviendra à trouver un passage dans lequel nos 74 pourront entrer: mais ce ne peut être que le fruit de beaucoup de soins et de peines.

J'en ai chargé deux officiers intelligents, l'un est le Capitaine de frégate, Barré, commandant l'Alceste, et le second le Citoyen Vidal, Lieutenant de Vaisseaux; s'ils trouvent un canal, ils le baliseront, et alors on pourra entrer sans beaucoup de danger. Le fond en dedans des rescifs va en augmentant jusqu'à 15 brasses; mais la sortie sera toujours très-difficile et très-longue; et dèslors une escadre y sera mal-placée. Je n'ai plus entendu parler des Anglais; ils ont peut-être été nous chercher en Syrie, ou plutôt je pense qu'ils avoient moins de 14 vaisseaux, et que ne se trouvant pas en nombre supérieur, ils n'auront pas jugé à-propos de se mesurer avec nous.

Nous attendons avec grande impatience que la conquête de l'Egypte nous procure des vivres; nous en fournissons continuellement aux troupes, et tous les jours on nous fait quelques nouvelles saignées. Il ne nous reste que pour 15 jours de biscuit; et nous sommes dans ce mouillage comme en pleine mer, c'est-à-dire, consommant tout, et ne remplaçant rien.

Nos équipages sont très-foibles en nombre et en qualité d'hommes; nos vaisseaux sont en général fort mal

armés, et je trouve qu'il faut bien du courage pour se charger de conduire des flottes aussi mal-outillées.

Je ne crois pas devoir entrer dans de plus grands détails sur notre situation; vous êtes marin, et vous sentirez mieux notre position, que je ne pourrois vous la dépeindre.

Je vais vous transcrire le paragraphe de la lettre du Général en Chef que je viens de recevoir :

"J'ai demandé au Directoire Exécutif, le grade de "Contre Amiral pour votre Chef d'Etat-Major Gan"teauine; je vous prie de le faire recevoir. J'ai " cherché par-là à donner une preuve d'estime et de re"connoissance aux bons services, à l'activité, et au zèle "qu'a mis votre Etat-Major, et en général toute l'es"cadre, à exécuter les ordres du Gouvernement.

[blocks in formation]

1

BRUEYS.

TRANSLATION.

On board the l'Orient, July 12th.

Admiral BRUEYS, commanding the Naval Forces of the Republic in the Mediterranean, to the Minister of the Marine, and of the Colonies.

Citizen Minister,

I WROTE to you from Malta on the 14th of June; in that letter I gave you an account of the arrival of the fleet at Malta, and of the capture of that island. The

ships of the line, and the transports were all under sail on the 19th, and on the 1st of July we were off the old port of Alexandria.

I had previously dispatched the Juno to bring the Consul on board. Citizen Magallon (the nephew) aṛrived on the 1st, and informed us that an English squadron had appeared in line of battle off the port of Alexandria, on the 28th of June, that they had detached a brig to the town, and that on its return, they had made sail to the north-east. The squadron was supposed to consist of fourteen ships of the line.

The Consul also told us that our arrival had been daily looked for, for some time; that there was a great fermentation in the country, and no inconsiderable degree of uneasiness and apprehension.

The Commander in Chief desired to be put on shore immediately; I therefore came to anchor on the coast, and during the night succeeded in landing 6000 men in a creek to the west of the Old Port, near a castle called Marabou, about two leagues from the city: not the slightest opposition was made to our descent.

The 2d, at noon, our troops were in the city, and in three hours afterwards the fort surrendered. There was some resistance attempted at the wall which surrounds the city, but it was immediately scaled. A few shot. were fired into the streets from the windows of the houses; the fort too, fired a few cannon: but every thing was soon in our possession.

I disembarked all the troops, and the baggage belonging to them, and on the 7th, having satisfied myself that our ships of war could not get into the port for want of a sufficient depth of water at the entrance, I

« PreviousContinue »