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« O mon ami! quel lieu n'est plein de nos revers? Dit-il. Voilà Priam, et voilà notre histoire!

Les murs de Junon même en gardent la mémoire. Oui, jusque dans ces lieux la gloire a ses honneurs, L'humanité ses droits, et la pitié ses pleurs. »

Il dit, et, parcourant les annales de Troie,
Gémissant de douleur, s'attendrissant de joie,
Sur cette vaine image attache ses regards.
Ici, devant Hector les Grecs fuyoient épars;
Là, les siens, foudroyés par l'aigrette d'Achille,
Devant son char tonnant s'enfonçoient dans leur ville;
Plus loin, des flots de sang couloient à gros bouillons.
Il reconnoît Rhésus et ses blancs pavillons;

Il dormoit sous sa tente: amené par un traître,
Dioméde l'égorge, et, sous leur nouveau maître,
Loin de lui sont menés ses superbes chevaux,
Avant que du Scamandre ils aient goûté les eaux.
Là, fuyoit désarmé le malheureux Troïle,
Foible enfant, dont l'audace osa braver Achille!
A son char suspendu, les rênes à la main,
Il emporte le dard enfoncé dans son sein;
D'un long sillon de sang le trait marque la plaine,
Et son front tout poudreux est traîné sur l'arène.
Les Troyennes en deuil, avançant lentement,
A Pallas apportoient un riche vêtement,
Se meurtrissant le sein, humblement gémissantes;
L'habit sacré brilloit dans leurs mains suppliantes :
Pallas baissoit les yeux, et repoussoit leur don.
Là, le fils de Thétis, sous les murs d'Ilion,
Avoit traîné trois fois Hector dans la poussière,

Exanimumque auro corpus vendebat Achilles.
Tum vero ingentem gemitum dat pectore ab imo,
Ut spolia, ut currus, utque ipsum corpus amici,
Tendentemque manus Priamum conspexit inermis.
Se quoque principibus permixtum adgnovit Achivis,
Eoasque acies, et nigri Memnonis arma.
Ducit Amazonidum lunatis agmina peltis

Penthesilea furens, mediisque in millibus ardet,
Aurea subnectens exsertæ cingula mammæ
Bellatrix, audetque viris concurrere virgo.

Hæc dum Dardanio Æneæ miranda videntur, Dum stupet, obtutuque hæret defixus in uno, Regina ad templum, forma pulcherrima, Dido Incessit, magna juvenum stipante caterva. Qualis in Eurotæ ripis, aut per juga Cynthi, Exercet Diana choros, quam mille secutæ

Hinc atque hinc glomerantur Oreades; illa pharetram

Et, d'un bras teint de sang, le vendoit à son père.
Alors un long soupir s'échappe de son sein,

Quand il voit et le char, et le fer assassin,

Et ces restes chéris, et, de ses mains tremblantes,
Priam du meurtrier pressant les mains sanglantes.
Lui-même il se retrouve au plus fort des combats.
Il voit le fier Memnon, de ses ardents climats
Traîner ses noirs guerriers; il voit Penthésilée,
Terrible, au vol des dards, au choc de la mêlée
Opposant le croissant d'un léger bouclier;
Sur son sein découvert nouant un baudrier,
Tourner, voler, frapper, signaler sa grande ame,
Et montrer un héros sous l'habit d'une femine.

Fixé sur ces tableaux, qu'il contemple à loisir, Le héros s'enivroit d'un douloureux plaisir : Soudain Didon paroît. Appui de sa couronne, De ses jeunes guerriers l'élite l'environne : La grace dans ses traits est jointe à la fierté. Telle, dans tout l'éclat de sa divinité, Quand Diane paroît, quand ses jeunes compagnes, Les Nymphes des forêts, des vallons, des montagnes, Sur les hauteurs du Cynthe, au bord de l'Eurotas, Bondissant en cadence, accompagnent ses pas : A la tête des choeurs, Diane au milieu d'elles, Surpasse en majesté toutes ces immortelles : Jeune, le front paré de son croissant divin, Un carquois sur l'épaule, et son arc à la main, Elle marche; sa grace en marchant se déploie, Et le cœur de Latone en palpite de joie.

T. III. ÉNÉIDe. i.

4

Fert humero, gradiensque deas supereminet omnis:
Latonæ tacitum pertentant gaudia pectus.
Talis erat Dido, talem se læta ferebat

Per medios, instans operi regnisque futuris.
Tum foribus Divæ, media testudine templi,
Sæpta armis, solioque alte subnixa, resedit.
Jura dabat legesque viris, operumque laborem
Partibus æquabat justis, aut sorte trahebat:

Quum subito Eneas concursu adcedere

magno

Anthea, Sergestumque videt, fortemque Cloanthum,
Teucrorumque alios, ater quos æquore turbo
Dispulerat, penitusque alias avexerat oras.
Obstupuit simul ipse, simul percussus Achates
Lætitiaque metuque; avidi conjungere dextras
Ardebant, sed res animos incognita turbat.
Dissimulant, et nube cava speculantur amicti,
Quæ fortuna viris, classem quo litore linquant;
Quid veniant: cunctis nam lecti navibus ibant,
Orantes veniam, et templum clamore petebant.

Postquam introgressi, et coram data copia fandi,

Telle Didon se montre à ses sujets nouveaux,
Et de ses murs naissants anime les travaux.
Auprès de la déesse, au milieu de son temple,
Où, sous un riche dais, son peuple la contemple,
Elle s'assied; et là, son équitable voix
Dicte ses jugements, et proclame ses lois;
Dispense également les travaux de Carthage,
Ou par l'ordre du sort en régle le partage;
Voit, juge, ordonne tout, et d'une noble ardeur
Hâte de ses états la future grandeur.

Tout-à-coup, au milieu d'une foule bruyante, Des étrangers, tendant une main suppliante, De leurs concitoyens entrent environnés, Et frappent du héros les regards étonnés. Il s'approche, il observe: ô comble de la joie! Ce sont ses compagnons que le ciel lui renvoie : C'étoient Sergeste, Anthée, échappés du trépas. Il brûle de courir, de voler dans leurs bras; Mais la crainte retient sa vive impatience : Caché dans son nuage, il hésite, il balance, Veut savoir leurs destins, veut savoir en quels lieux Les ont jetés les vents, les ont conduits les dieux; Quel sort les a sauvés, ou bien sur quel rivage Ils ont laissé la flotte, échappée au naufrage; Et quels pressants besoins, quels intérêts nouveaux A Carthage ont conduit les chefs de ses vaisseaux, Didon les fait d'abord admettre en sa présence.

A peine au bruit confus succède le silence,

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