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de justice, autrefois auguste symbole de l'union du souverain et des sujets1, aujourd'hui redoutable appareil du pouvoir arbitraire; des édits destructeurs de toutes règles, de toutes lois, de toutes libertés, réunissant le despotisme de droit à celui de fait, arrachant à un peuple esclave, sans résistance et presque sans y penser, le mérite de sa soumission, le fantôme qui lui représentait ses anciens priviléges, la magistrature quatre fois exilée2, enfin détruite et peut-être pour jamais avilie; cent soixante et douze charges de judicature, si souvent déclarées inamovibles, par des lois tellement nécessaires que le tyran Louis XI n'avait pu se refuser à leur confirmation", confisquées en une nuit par arrêt du conseil, et cent soixante-dix magistrats relégués au même instant où il a plu à la vengeance de les envoyer; peu de mois après, tous les parlemens du royaume, ces vestiges effacés de nos droits, ces derniers et faibles asiles de notre liberté mourante,

. Chacun y donnait son avis, dit Hincmar, « non ex potestate, sed ex >> proprio mentis intellectu vel sententiâ. » Aujourd'hui ce spectacle muet serait de toutes les cérémonies la plus ridicule, s'il n'était pas un attentat trop effrayant pour le tourner en dérision.

* M. Talon, avocat-général, dans le discours qu'il fit à Louis XIII, le 7 mars 1631, sur l'exil de trois conseillers au parlement, lui en parle comme d'un fait inoui. (Voyez les remontr. du 17 avril 1755, pari. de Besançon, pag. 8. On y cite les registres du parlement de Paris.) Il est clair que le despotisme n'a fait aucun progrès en France depuis 1631; je ne parle que des coups d'autorité dirigés contre le parlement de Paris, comme des plus connus. On n'aurait jamais fini si l'on voulait rappeler les violences de toute espèce, mandals, exils, emprisonnemens, suppressions, commissions illégales, et autres vexations éprouvées par les parlemens de Rouen, de Rennes, de Bordeaux, d'Aix, de Besançon, etc.

3 Ordonnance de 1467, par laquelle cette disposition ne fut en quelque sorte que renouvelée, comme elle l'a été postérieurement sur la représentation des états-généraux du royaume par les ordonnances d'Orléans, Moulins et Blois; car la suppression arbitraire des offices était interdite par les ordonnances du 17 mars 1337 et 9 juillet 1341, et même par des ordonnances plus anciennes.

détruits du même coup; dix mille familles ruinées par cet attentat inouï, et cent mille obérées par ses suites; des tribunaux composés du rebut de la nation faisant pâlir les Francais; tous les engagemens qui lient les hommes foulés aux pieds; deux banqueroutes ouvertes et authentiques; des milliers d'infractions à la foi publique palliées par les ruses de chevaliers d'industrie; les fonds jusqu'alors respectés par les plus hardis déprédateurs réduits, entamés ou enlevés'; la dépense excédant la recette de soixante-dix millions; les moyens les plus violens et les plus infâmes épuisant toutes les ressources et ne réparant rien, parce que les fantaisies du jour engloutissaient les pillages de la veille; le péculat augmenté en raison de l'instabilité des places; la nomenclature fiscale s'enrichissant chaque jour sous la plume des plus infatigables exacteurs; un roi déchaînant sur ses sujets plus d'impôts que tous ses prédécesseurs ensemble; les nouveaux vingtièmes; les augmentations de taille; les surcharges sur les denrées de première nécessité; les réunions arbitraires au domaine; les priviléges exclusifs vendus au plus offrant; l'impéritie égale à l'avidité et à la mauvaise foi; le gouvernement s'évertuant pour filouter les particuliers avec l'effronterie de ces scélérats qui bravent la honte; deux ministres souples et intrigans à la cour, impassibles et opiniâtres à la ville, ne sachant que détruire, réduisant

1 Entre autres exemples, je citerai la réduction des fonds pour les rentes de la ville de Paris, etc.; et, ce qui était moins funeste, mais plus lâche et plus odieux, s'il est possible, l'enlèvement de la caisse des consignations, ce dépôt judiciaire où sont portées par arrêt les sommes en contestation entre les différens cohéritiers ou créanciers, etc., où l'abbé Terrai substitua du papier aux fonds effectifs vol manifeste commis au nom du roi. (Voyez, dans les Mém. de l'abbé Terrai, beaucoup de traits de cette espèce.)

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à cet art funeste toute leur politique, montrant à l'Euétonnée que la méchanceté peut faire des émules, et se surpassant tour à tour dans leur propre science; la nation attachée au char d'une prostituée qui décidait également du sort des princes et des peuples, des grands et des petits; l'oppression au dedans depuis le duc et pair jusqu'au baladin, la faiblesse et le déshonneur au dehors; le plus insolent luxe élevé sur les =ruines, la misère et la honte publique; le désespoir au comble; la patrie de la gaîté et des plaisirs ensanglan

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par de nombreux suicides; deux affreuses disettes, produites par les manœuvres atroces des publicains et de leurs protecteurs, ravageant ce malheureux royaume; enfin (chose horrible à penser!) le roi non-seulement autorisant, mais faisant le monopole' aux dépens de la subsistance de son peuple.... Tel fut le règne de LOUIS LE BIEN-AIMÉ.... Mais il ne fut pas méchant.... Non, mais qu'aurait-il fait de plus s'il l'eût été? Il ne fut pas méchant, mais faible, inappliqué, dissipateur, égoïste; et les fastes de son administration offriront à la - postérité effrayée l'époque la plus désastreuse de l'histoire de la monarchie.... Dites encore qu'il n'y a de tyrannie qu'où il y a un tyran : dites que nos rois n'ont jamais voulu être despotes2, et que nous n'avons point =eu de Verrès. Ceux de Rome du moins furent bannis: les nôtres jouissent à nos yeux du fruit de leurs crimes,

'On ne s'en cachait même pas, et tout le monde a lu, dans l'Almanach royal de 1773, trésorier des grains au compte du roi, M. Mirlavaud. Le respectable successeur du brigand Terrai avoua assez clairement, dans son bel édit de 1774, pour la police des grains, que Louis XV faisait le monopole.

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Voyez mille et mille ouvrages écrits par des plumes vénales ou des auteurs inconsidérés, et cette foule de livres ou de pamphlets dont le despotisme Maupeou nous a infectés en 1771, 1772 et 1773. On a vu, page 49, que le roi prétend, en effet, user du pouvoir de punir arbitrairement ses sujets, sans donner atteinte aux lois.

de nos dépouilles'. Vantez ce que nos rois ont fait pour mériter notre confiance dans une période de cinq cents années, trois en ont été dignes.

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CHAPITRE XIII.

Les lettres de cachet menacent plus encore les grands, c'est-à-dire ceux qui les invoquent, que les petits, et peuvent dépouiller les uns et les autres de tout ce qu'ils possèdent. L'esprit de corps et la jalousie des différens ordres de l'État soutiennent le despotisme. Les formes légales sont une sauve-garde nécessaire à la liberté et à l'innocence. Le bien même qu'on peut faire par des voies illégales est funeste à la

société.

C'est donc à cette nation, qui trouve dans son histoire des Delaître, des Duprat, des Poyet, des Marigui, des Isabelle de Bavière, des Louis XI, des Catherine de Médicis, des Guise, des Charles IX, des Richelieu, des Terrai, des Maupeou (car pourquoi ne pas confondre les grands scélérats et les fripons subalternes? ils sont également odieux et souvent également funestes); c'est à la nation foulée par de tels monstres qu'on ose dire que le despotisme ne saurait germer dans son sein. Et tandis que les apologistes du pouvoir arbitraire réclament pour le roi seul une autorité sans bornes, qu'il ne peut jamais perdre, que son successeur aura comme lui, par une contradiction digne de leur système, et compagne ordinaire de la mauvaise foi, ils nous parlent de l'heureuse impuissance où est ce monarque au

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pouvoir illimité, de rien changer aux institutions sacrées qui assurent l'État, l'honneur et la propriété des citoyens....1.

Eh bien! expliquez-moi ce seul point; je vous tiens quitte de tous les autres : loin de nous les discussions polémiques, les recherches de droit public, les monumens de notre histoire; mais répondez à une question simple dont votre doctrine suppose la solution. En quoi faites-vous consister cette heureuse impuissance qui nous sauve du despotisme? Le roi peut-il ou ne peut-il pas nous ôter à sa volonté nos biens, notre rang, nos charges; dépouiller et dissoudre tous les ordres de l'État; imposer sur ses sujets des tributs tels qu'ils ne soient que les fermiers de leurs possessions, et encore à titre onéreux2? Peut-il ou ne peut-il pas se réserver la connaissance et la punition de certains crimes, soustraire les coupables, ou ceux qu'il accuse ou ceux qu'il soupçonne, à la protection des lois, à leurs juges na*turels, et leur en substituer qui lui soient vendus? Peutil enfin ou ne peut-il pas m'enlever ma femme, mon enfant, la propriété de ma personne, sans procédure légale? S'il peut ceci, prenez-y bien garde, il peut tout le reste; car je n'ai rien à défendre, quand je ne jouis plus de moi-même. Pairies, évêchés, bénéfices, rang, état, naissance, ne sont rien auprès de la liberté,

Termes dérisoires du fameux édit de février 1771. « Speciosa verbis, » re inania aut subdola; quantoque majore libertatis imagine regebantur, » tanto eruptura ad infensius servitium. » (Tacit. Ann. 1, 81.)

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M. Dupré de Saint-Maur, dans son Essai sur les monnaies (édit. de 1746, page 26), dit: En Pologne, le fermier d'une petite métairie, louée 470 liv., paie 218 liv. 3 s. de taille, outre 51 liv. 6 s. de capitation. Dans une autre ferme, louée 260 liv., le fermier paie 120 liv. S s. de taille, et 37 liv. 11 s. de capitation. On voit, ajoute-t-il, que souvent la taille excède le tiers du produit des terres, et que la capitation monte à peu près au tiers de la taille.

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