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DES

LETTRES DE CACHET

ET DES

PRISONS D'ÉTAT.

PREMIÈRE PARTIE.

DES LETTRES DE CACHET.

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Mirabeau, pour la quatrième fois sous le poids d'une lettre de cachet, gémissait à vingt-six ans, séparé de Sophie, dans le donjon de Vincennes. Son esprit irrité demandait un aliment; il le trouva dans l'indignation même que lui inspirait sa situation présente. Comme on l'a fort bien remarqué dans l'édition de 1820: « La pensée publique était éveillée sur les abus du pouvoir. Montesquieu avait porté dans le dédale des lois le flambeau de son génie. Beccaria, en rétablissant l'équilibre entre le délit et la peine, avait fixé la limite où s'arrêtent les droits de la société sur l'homme coupable... Les esprits étaient donc préparés, lorsque Mirabeau, du fond de sa prison, protesta contre le despotisme ministériel. » Il remonta aux principes constitutifs de la société, et l'histoire à la main, il envisagea les lettres de cachet et les prisons d'État dans leurs rapports avec le droit naturel. Cet ouvrage, plein de chaleur et de force, produisit tout l'effet qu'on devait en attendre. Il fit tomber bientôt les abus que l'auteur s'était efforcé de combattre.

On lui reproche, il est vrai, des longueurs; ses pages éloquentes sont déparées, ajoute-t-on, par des détails mesquins sur l'intérieur du château de Vincennes; ce reproche s'adresse surtout à la seconde partie. Mais un prisonnier plein d'ardeur et d'indignation sera-t-il condamné à ronger son frein sans gémir? Il fallait qu'il nous donnât la peinture de ces horreurs qu'il avait sous les yeux, pour achever le tableau qu'il préparait à nos mé ditations.

On sait que durant sa captivité de trois ans à Vincennes, l'amant de Sophie, redouté jusque dans son cachot, fut presque toujours privé de papier. Il obtint avec peine qu'on lui prêtât des

livres. Il en arrachait la page blanche qui se trouve ordinairement au commencement et à la fin du volume; et c'est ainsi que s'épuisant à écrire du caractère le plus fin, resserrant sa pensée dans un cadre étroit, à force de soins, de courage et de patience, il parvint à sauver son ouvrage. On ajoute que lorsqu'il sortit de Vincennes il portait avec lui toutes les feuilles de ce livre accu— sateur, cousues dans ses vêtemens entre la doublure et l'étoffe.

Mais quand même de telles circonstances n'auraient pas vivement excité la curiosité publique sur cet ouvrage remarquable, les questions importantes qui y sont traitées, l'éloquence de l'écrivain, les idées grandes et généreuses qu'il y a répandues, le développement des faits et la magie du style, classeront toujours lè livre des Lettres de Cachet parmi les ouvrages les plus chers à l'humanité et à l'esprit humain.

C. Y.

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