Page images
PDF
EPUB

Croit que des nuits la pâle reine
A laissé tomber sur l'arène
D'humides et tremblants rayons;
Et si quelque note lointaine
De leurs mystérieux concerts,
Lui parvient au souffle des airs,
En vain son oreille incertaine
Écoute; elle entend seulement
Des rossignols le doux ramage,
Le bruit du sonore feuillage,
Ou de la brise du rivage

Le monotone sifflement.

Le barde cependant sur l'humide prairie
A surpris quelquefois la reine de féerie.
De sa langue inconnue il a compris les sons,
Et seul a recueilli ses magiques chansons.

Mme AMABLE TASTU.

La féerie mythologique du Nord appartient évidemment à cette période éloignée de l'histoire où la domination des Ostrogoths et des Visigoths s'établit au moyen de colonies venues de la Scandinavie, événement qui amena l'invasion et la conquête des provinces méridionales de l'empiré romain, et par la suite celle de l'Angleterre. La mythologie des Goths peut donc réclamer à juste titre une priorité de trois cents ans sur celle des Arabes. En effet l'invasion de l'Espagne par les Maures n'eut lieu qu'en 712, tandis que les Goths étaient en possession de ce pays dès l'an 409.

Le système fabuleux des Goths admet deux espèces d'êtres surnaturels : les esprits bienfaisants et les esprits malfaisants. Les premiers étaient considérés comme la source de tout bien, les seconds comme la source de tout mal; les uns, remarquables par leur beauté, habitent la région la plus pure de l'éther; les autres, difformes et hideux, ont leur demeure dans les montagnes, les cavernes et les grottes les plus sombres. La mythologie des Perses et des Arabes ne différait cependant guère decelle des Goths que par les termes. Ainsi les Peri et les Dives étaient représentés presque avec les mêmes attributs que les Esprits luisants et les Esprits basanés, quoique dans la féerie orientale on ne rencontre point d'esprit aussi triste et aussi malin que le Brownie d'Écosse ou le Puck de Shakspeare.

On s'est donné beaucoup de peine pour montrer de quelle mythologie, orientale ou gothique, le poëte avait emprunté son système féerique. Nous répondrons hardiment que lui-même en est l'auteur. Les lectures de sa jeunesse et son imagination féconde lui avaient donné l'idée d'un être aérien d'une nature intermédiaire entre les anges et les hommes, d'un être assez en rapport avec l'humanité pour voltiger sur nous pendant nos occupations du jour, et présider à nos songes pendant la nuit, pour nous soutenir dans nos besoins, ou, suivant son humeur et son caprice, pour nous contrarier dans nos amusements, augmenter nos embarras, nous suivre, nous effrayer et nous tendre des piéges.

Mais, quelques années après, lorsqu'il voulut mettre en action les créatures de son imagination pour animer ses drames et répandre des charmes sur leurs scènes magiques, quoiqu'il n'eût retenu que de faibles lueurs de ce qui l'avait séduit dans sa jeunesse, les caractères de ses fées, comme tout ce qui porte l'empreinte de son génie, s'embellirent, s'ornèrent et s'enrichirent. Aucune mythologie, soit du Nord, soit de l'Orient, ne pouvait produire un être comparable à Ariel. Son vrai Puck, son lourdaud des esprits, celui qui se plaît aux choses qui tombent à contre-temps entre ses mains, n'est pas un esprit malin et grossier, c'est le joyeux rôdeur de nuit, le génie de la gaieté et du mal, mais du mal innocent. Titania même, dans sa folie, ne dit rien qui ne doive tomber des lèvres qui se nourrissent de rosée et de miel. Les esprits de Shakspeare voltigent parmi les violettes, les roses, les églantines; leur occupation est de suspendre des perles de rosée au haut des primevères pour entretenir la fraîcheur du cercle magique où ils dansent; toute leur existence se passe en fêtes de nuit.

On n'a pu découvrir encore de quelle source Shakspeare a tiré le Rêve d'une Nuit d'été. On a cité Sir Huon de Bordeaux, parce qu'Obéron est le nom du roi des fées de Shakspeare, et de la fée qui donna la coupe enchantée à sir Huon, sans qu'il y ait le moindre trait de ressemblance entre les deux histoires. On a cité Chaucer, d'après une induction semblable, parce qu'il lui a emprunté le nom d'un de ses personnages, le duc Thésée. Au reste, ce titre de duc est commun aux vieux dramatistes qui l'emploient pour des personnages du plus haut rang, et quelquefois sans assigner aucune domination locale à

leur personnage. Ce titre était peut-être préféré à cause de sa rareté; car, pendant la plus grande partie de la vie de Shakspeare, il n'y avait qu'un duc en Angleterre.

On en a découvert une autre source dans Ogier le Danois; mais l'aventure de Morgana avec Ogier a trop peu de ressemblance avec celle de Titania avec Bottom, pour que notre poëte l'ait eue dans l'esprit quand il écrivit sa pièce. L'analyse et les imitations ci-jointes sont dues à la plume élégante de M. Emile Deschamps:

« Nous sommes à Athènes; deux noces vont se célébrer, celles de Thésée avec Hippolyte, reine des Amazones, celles de Démétrius avec Hermia, fille d'Égée; mais Hermia s'est prise d'amour pour Lysandre qui brûle aussi pour elle. Cependant Egée insiste pour que sa fille épouse Démétrius, qui a sa parole; Hermia refuse, et le prince Thésée lui annonce que, d'après la loi d'Athènes, si elle n'obéit pas à son père, elle n'a qu'à choisir entre la mort et le cloître des Vestales. Les deux jeunes gens quittent furtivement la ville pour aller chercher un secret hymen sur une rive étrangère. Ils se sont donné rendez-vous dans un bois voisin au déclin du jour. La vengeance et l'amour poussent Démétrius sur leurs pas. Hélène y court aussi, Hélène que Démétrius avait aimée avant de voir Hermia, qui est restée fidèle à ce volage amant, et dont la douleur s'accroît encore de l'amitié qui l'unit à cette jeune Hermia, sa compagne d'enfance. Toutes deux déplorent la malice du destin, en se jurant de s'aimer toujours malgré cette rivalité involontaire. Démétrius, qui cherchait Hermia, rencontre Hélène et l'accable de dédains. La nuit arrive. Obéron et Titania, le roi et la reine des fées, reprennent possession de leur empire, et remplissent le bois de leurs sylphes et de leurs charmes magiques. Un sommeil inconnu s'empare des quatre amants; alors commence une action fantastique mêlée à l'action réelle; ce ne sont plus que méprises réciproques et échanges d'amours occasionnés par les philtres et les talismans des fées et des esprits; car Obéron et Titania étaient en guerre cette nuit-là. Enfin ils se raccommodent et l'harmonie se rétablit aussi dans le cœur des mortels, si bien qu'au réveil Démétrius retrouve en lui-même toute l'ardeur de son premier amour pour Hélène, qui n'a pas cessé de l'aimer; il renonce à la main d'Hermia, et dégage ainsi la pa

role d'Égée. Tout s'arrange; Thésée n'a plus besoin de sévir; les trois couples sont heureux; et, pour fêter les belles noces, des artisans d'Athènes viennent représenter devant la cour une tragédie de Pyrame et Thisbé, sorte de prologue où Shakspeare s'est plu à exercer une spirituelle et judicieuse critique des acteurs de son temps. Nous n'avons fait encore qu'indiquer les personnages chimériques de cette œuvre, et cependant ils y sont presque tout; ils en font la grâce et l'originalité. Mais comment analyser ces natures aériennes? C'est dans les poésies mêmes de Shakspeare qu'il faut chercher à les connaître; lui seul peut toucher à leurs formes délicates sans les offenser ; son imagination seule peut danser avec eux parmi les rayons de la lune et se coucher à leurs côtés dans le calice des roses. Qu'il nous suffise de dire que les amours d'Obéron et de Titania ont leurs quiproquos et leurs orages comme ceux des amants d'Athènes, et qu'il en résulte une double intrigue pleine de surprises et d'agréments. Le titre de cette pièce, ainsi qu'on l'a remarqué, en annonce toute l'action; ce n'est qu'un jeu léger, fugitif et vague, comme le songe d'une nuit d'été. Du reste l'ouvrage est rempli de traits anachroniques, de héros de l'ancienne Grèce conduits par les fées du moyen âge; ces mêmes hommes rendus spectateurs d'un jeu théâtral qui a tout le caractère des pièces modernes, un mélange singulier de mœurs antiques et de mœurs actuelles, et le changement rapide et alternatif du monde vrai en un monde allégorique, présentent, au premier aspect, un ensemble bizarre; mais comme chaque partie de l'œuvre est bien composée! que de charme et de vivacité dans le style de cette fiction!..... Au surplus n'oublions pas que c'est un rêve, et qu'il n'y a de réel dans tout ceci que le génie de Shakspeare.

» Qu'on se figure la grâce, la bonté et l'amour sous une forme de jeune fille avec des ailes de sylphe et une baguette de fée, et on aura presque Titania. Titania, c'est la personnification idéalisée de tout ce qui est charmant dans la nature; c'est la puissance de la déesse avec la faiblesse de la femme. Elle commande avec douceur à tout un peuple d'esprits, et que leur commande-t-elle? c'est de tuer le ver caché dans le sein odorant des fleurs, ou de faire la guerre aux chauves-souris, pour avoir leurs ailes de peau, afin d'en habiller les petits sylphes; ou d'écarter la chouette qui, dans la nuit, insulte par son cri

sinistre aux jeux aériens des fées; c'est, enfin, de mettre en fuite tout ce qu'il y a de laid ou de malfaisant. Titania se plait surtout à favoriser les chastes amours, à réunir les cœurs divisés par la méchanceté des hommes ou les rigueurs du sort. Et puis elle veut que tout soit musique et danse autour d'elle. Rien ne lui plaît comme les rondes et les concerts de ses légères et tendres sylphides; sa vie immortelle se nourrit, minute par minute, de l'amour et des arts, les deux seules belles choses de la terre qu'on retrouvera sans doute an ciel.Titania parle une la ngue plus molle que la brise d'une nuit d'août; Titania gliss e dans l'air, et à peine ses pieds ont-ils touché nos gazons, qu'elle s'étend voluptueusement sous un berceau de myrtes, pour y chercher un frais sommeil sans rêve, ou pour y rêver sans dormir.

>> Cependant un grand chagrin a pénétré jusqu'au fond de son coeur, comme un scorpion dans une rose. Oberon, son époux, le roi des fées, veut qu'elle lui cède son nain, jeune enfant dérobé à un roi de l'Inde. Titania aime cet enfant, dont la mère é tait une fée mortelle attachée à sa cour. De là des querelles inconnues qui font que tous les sylphes se cachent de frayeur dans les épis de blés. Obéron, pour se venger de la reine, appelle le lutin Puck, et lui ordonne de chercher une fleur magique, dont le suc exprimé sur les yeux endormis de Titania, les frappera d'aveuglement et son cœur aussi, d'une telle sorte qu'elle se prendra d'amour pour le premier objet qui frappera son réveil, fût-ce un âne ou un singe, et qu'elle lui cédera son petit page sans savoir ce qu'elle fait. Le charme s'accomplit, et c'est sur le tisserand Bottom, à qui Obéron a prêté une tête d'ane, que tombe l'amour de l'aveugle Titania.

» Le pauvre Bottom, effarouché de cette bonne fortune à laquelle il ne comprend rien, cherche à s'enfuir de la forêt où Titania l'a rencontré à son réveil, et voilà comme Titania lui parle dans sa folie d'amour :

[merged small][ocr errors]

Ne cherche pas, mon ange, à sortir de ce bois,
De ma belle prison de mousses et de feuilles ;

Tu resteras ici, mortel, que tu le veuilles
Ou non; car mon oreille est ivre de ta voix,

Et mes yeux, de ta forme; et je commande en reine
A ce peuple d'esprits qu'à ma suite je traine.
Sur mon empire un seul être règne toujours;

« PreviousContinue »