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bien

que l'erreur de fait, détruira évidemment pour l'agent l'imputabilité.

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269. Le mérite et le démérite ont des degrés. Ces degrés se mesurent: 1° d'après la nature des faits; 2o d'après leur multiplicité; 3° d'après la sensibilité de l'agent; 4o d'après son éducation; 5o faut-il ajouter: d'après le mobile de l'action1?

270. Mesure du mérite ou du démérite d'après la nature du fait. - N'en déplaise à Dracon, tous les faits immoraux ne sont pas égaux. Se venger de son ennemi en le mystifiant est moins mal que s'en venger en le tuant. De même, tous les faits moraux ne sont pas de la même valeur. Donner aux pauvres

Comp. Saturninus, fr. 16, § 1, Dig., De pœnis (lib. XLVIII, tit. 19): « Sed hæc genera consideranda sunt septem modis, causis, persona, loco, ⚫ tempore, qualitate, quantitate et eventu. »

Le rabbin Moise veut que l'on considère la grandeur du péché, le « nombre des péchés semblables qu'on a commis, le degré du désir et la facilité de l'action. »>

(GROTIUS, De jure belli et pacis, liv. II, chap. 20.)

une partie de son nécessaire est plus charitable que leur donner seulement son superflu.

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271. Mesure du mérite et du démérite d'après la multiplicité des faits. Une série de bonnes actions vaut mieux qu'une bonne action isolée. Une mauvaise action isolée est moins coupable que l'habitude des mauvaises actions. Dans la mauvaise action isolée, la volonté surprise par une première attaque est plus excusable d'une première défaillance. Elle l'est beaucoup moins quand elle cède à la seconde apparition de la tentation mauvaise; elle n'est plus entièrement innocente de son retour, quand elle ne l'a pas suffisamment combattue dans son origine. — En remontant attentivement le cours de notre vie, combien de fois ne verronsnous pas tel ou tel désir coupable qui nous agite aujourd'hui, avoir son germe dans quelque défaut précédent de résistance, dans une défaillance de la liberté inattentive à repousser le premier envahissement du mal? Et s'il était vrai que ce mal pût prendre d'assez profondes racines pour étouffer la liberté, ce serait d'avoir perdu notre liberté que nous serions responsables.

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272. Mesure du mérite et du démérite d'après la sensibilité de l'agent. Nous avons vu les degrés de la sensibilité différer suivant les individus. La lutte de la raison contre la passion est plus ou moins rude en proportion de ces degrés. Il y a des victoires plus ou moins chèrement achetées, en conséquence plus ou moins dignes d'estime. Il y a des chutes plus ou moins expliquées par des circonstances atténuantes. Placez

deux hommes d'un tempérament différent en présence d'une même séduction: si tous deux succombent, le démérite de l'un dépassera celui de l'autre ; si tous deux résistent, le mérite de tous deux ne sera pas égal.

273. Mesure du mérite et du démérite, d'après l'éducation de l'agent. - Nous venons de voir l'habitude contractée par la faute de l'agent ajouter au mérite du bien, au démérite du mal.-Mais, en sens inverse, si l'habitude s'explique par des circonstances qui ne viennent pas du fait de l'agent, elle diminue le mérite ou le démérite. L'homme est façonné dès le plus jeune âge par les leçons et l'exemple du père, du précepteur, des amis, de la société. Si autour de lui les enseignements ont été purs, il a moins de mérite à suivre le bon chemin qu'on lui a tracé. Si, au contraire, tout a contribué à l'égarer, il a plus de mérite à retrouver la voie par des efforts plus énergiques; ou si sa force morale n'obtient pas ce résultat, il est moins coupable que l'homme dont la conscience n'a point été faussée par le vice des premières impressions.

274. Faut-il ajouter une cinquième mesure du mérite et du démérite, savoir: d'après le mobile de l'action?

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Il y a là deux questions : l'une sur la mesure du. mérite, l'autre sur la mesure du démérite. Discutonsles séparément.

1re question. Le mobile de l'action influe-t-il sur la mesure du mérite de cette action? - Chacun va répétant qu'il ne faut pas mettre sur la même ligne l'obéissance intérieure qui fait le bien par justice, et

l'obéissance extérieure qui fait le bien par intérêt. Avant de discuter cette proposition, il faut en bien poser les termes.

Le bien moral ne peut JAMAIS se faire par intérêt mal entendu. Voyez cet ambitieux aspirant au pouvoir par l'intrigue? Il fait largesse aux pauvres pour se créer des partisans. En distribuant du pain à ceux qui en manquent, obéit-il extérieurement au devoir, et produit-il un bien moral par intérêt mal entendu? Nullement. Il désobéit au devoir, et produit le mal moral, en corrompant ceux qu'il soulage. Ainsi la distinction entre l'obéissance intérieure qui fait le bien par justice et l'obéissance extérieure qui fait le bien par intérêt, ne peut se proposer qu'en supposant une obéissance extérieure qui fait le bien par INTÉRÊT BIEN ENTEN DU. C'est évidemment ainsi que M. J. Simon comprend la question.

Cela étant bien convenu, voici comment cet auteur résout la difficulté : « Quand l'intérêt n'apparaît que « pour nous consoler ou nous encourager, son inter«<vention, dans cette mesure, est légitime'... Mais << quand l'amour-propre se met au premier plan et « devient le but unique de nos actes, il ne les rend << pas criminels à la vérité, mais il les empêche d'être « méritoires 2. >> - Ici, nouvel éclaircissement nécessaire. Evidemment l'expression rend la pensée de l'auteur d'une manière exagérée. Ce qui n'est ni criminel ni méritoire est indifférent. Or une bonne ac

Simon, Le Devoir, partie II, chap. I.

• Id.. ibid.

tion inspirée par l'intérêt bien entendu ne peut pas devenir indifférente. L'auteur veut dire qu'elle devient moins méritoire. Examinons cette solution ainsi modifiée.

Nous avouons l'impossibilité où nous sommes de la comprendre. La raison de notre impuissance est simple, c'est que nous croyons avoir démontré l'identité absolue de la justice et de l'intérêt bien entendu '.

Si nous y avons réussi, comment distinguer des mérites divers dans ceux qui prennent soit l'un, soit l'autre mot, pour devise? - Nul tribunal humain ne perdrait une minute dans cette puérile inquisition. Au tribunal du juge suprême, sera-t-elle de mise? Quoi! l'âme irréprochable dans son épreuve sera moins rémunérée quand, en la subissant, elle aura eu le désir du ciel et la crainte de l'enfer? Pour mériter complétement la couronne, il faudrait donc qu'en faisant le bien elle eût perdu de vue ce désir et cette crainte?.. Vit-on jamais pareille subtilité? Qu'il se lève celui qui osera soutenir ce paradoxe: Si, au moment

1. Cette identité nous est apparue, 1o dans une société de matéria⚫listes où la maladresse des gouvernants laisserait l'égoïsme sans punition matérielle. Le remords éprouvé par l'égoïste suffirait pour remplacer cette • punition absente : il lui montrerait l'intérêt mal entendu dans des préten⚫tions destructives de l'égalité, qui l'exposeraient au mécontentement de lui-même.

2o A plus forte raison cette identité existe dans une société de maté⚫rialistes assez bien avisés pour punir tout acte d'égoisme. La perspective ⚫ de la sanction extérieure obligerait l'intérêt bien entendu à s'absorber dans la justice.

30 Enfin cette identité nous a surtout paru évidente dans une société de spiritualistes. En effet, comment faire comprendre à un spiritualiste, • partisan de l'immortalité de l'àme, un prétendu intérêt bien entendu en « dehors de la justice ? C'est-à-dire un prétendu intérêt qui compromettrait ⚫ celui de l'autre vie? Ce dernier ne domine-t-il pas tout autre? (Voyez ci-dessus, liv. III.)

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