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connu, des découvertes toutes nouvelles. Ainsi, par exemple, l'institut d'Egypte n'a pu lire sur la colonne de Pompée, à Alexandrie, l'inscription effacée que des sous-lieutenants anglois ont relevée depuis avec du plâtre.

Voyage pittoresque, l'auteur nous paroît surtout | il est loin de l'avoir épuisé. On sait d'ailleurs qu'on éminemment fait pour peindre les siècles des Pé- | peut faire chaque jour, sur le monument le plus lasge et des Alphonse, et pour mettre dans ses dessins l'expression des temps et des mœurs. Les sentiments nobles lui sont familiers; tout annonce en lui un écrivain qui a du sang dans le cœur. On peut compter sur sa constance dans ses travaux, puisqu'il ne paroît point détourné des sentiers de l'étude par les soucis de l'ambition. Il s'est souvenu des vers du poëte:

Lieto nido, esca dolce, aura cortese,
Bramano i cign', e non si va in Parnasso
Con le cure mordaci.

Il nous retracera donc dignement ces hauts faits
d'armes qui inspirèrent à nos troubadours la chan-
son de Roland; à nos sires de Joinville, leurs vieil-
les chroniques ; à nos comtes de Champagne, leurs
ballades gauloises; et au Tasse, ce poëme plein
d'honneur et de chevalerie, qui semble écrit sur un
bouclier il nous dira ces jours où le courage,
la foi et la loyauté étoient tout; où le déloyal et
le lâche étoient obligés de s'ensevelir au fond d'un
cloître, et ne comptoient plus parmi les vivants.
Il y a deux manières de sortir de la vie, dit Sha-
kespeare la honte et la mort, shame and

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« death. »

Pococke en avoit rapporté quelques lettres,
sans prétendre les expliquer; plusieurs autres
voyageurs l'avoient aperçue, et nous ne connois-
sons que M. Sonnini qui n'ait pu rien découvrir
sur la base où elle est gravée. Pour nous, nous
avons déchiffré distinctement à l'œil nu plusieurs
traits, et entre autres le commencement de ce
mot Atox, qui est décisif. Comme cette inscrip-
tion d'une colonne fameuse est peu ou point con-
nue en France, nous la rapporterons ici.
On lit :

ΤΟ.... ΩΤΑΤΟΝ, ΑΥΤΟΚΡΑΤΟΡΑ
ΤΟΝ ΠΟΛΙΟΥΧΟΝ, ΑΛΕΞΑΝΔΡΕΙΑΣ
AIOK. H. ÍANONTON.... TON
ΠΟ... ΕΠΑΡΧΟΣ ΑΙΓΠΤΟΥ.

Il faut d'abord suppléer à la tête de l'inscription
le mot ПIPOΣ; après le premier point, N. 204;
après le second, A; après le troisième, T; au
quatrième, AYTOYZ; au cinquième, enfin, il
faut ajouter AIQN. On voit qu'il n'y a ici d'arbi-
traire que le mot AYTOYETON, qui est d'ail-
leurs peu important. Ainsi on peut lire :

ΤΟΝ ΣΟΦΩΤΑΤΟΝ ΑΥΤΟΚΡΑΤΟΡΑ
ΤΟΝ ΠΟΛΙΟΥΧΟΝ ΑΛΕΞΑΝΔΡΕΙΑΣ
ΔΙΟΚΛΗΤΙΑΝΟΝ ΤΟΝ ΑΥΓΟΥΣΤΟΝ
ΠΟΛΙΩΝ ΕΠΑΡΧΟΣΑΙΓΥΠΤΟΥ.

C'est-à-dire :

Enfin, dans la quatrième époque du Voyage, l'auteur donnera les vues des monuments modernes de l'Espagne: un des plus remarquables, sans doute, est l'Escurial, bâti par Philippe II, sur les montagnes désertes de la Vieille Castille. La cour vient chaque année s'établir dans ce monastère, comme pour donner à des solitaires morts au monde le spectacle de toutes les passions, et recevoir d'eux ces leçons dont les grands ne profitent jamais. C'est là que l'on voit encore la chapelle funèbre où les rois d'Espagne sont ensevelis dans des tombeaux pareils, disposés en échelons les uns au-dessus des autres; de sorte que toute cette poussière est étiquetée et rangée en ordre comme les richesses d'un muséum. Il y a des sé-pée sont éclaircis. Mais l'histoire garde-t-elle le pulcres vides pour les souverains qui ne sont point encore descendus dans ces lieux; et la reine actuelle a écrit son nom sur celui qu'elle doit occuper!

"Au très-sage empereur, protecteur d'Alexan« drie, DIOCLETIEN AUGUSTE, Pollion, préfet « d'Égypte. »

Ainsi, tous les doutes sur la colonne de Pom

silence sur ce sujet? Il nous semble que, dans la Vie d'un des Pères du désert, écrite en grec par un contemporain, on lit que pendant un tremblement de terre qui eut lieu à Alexandrie, toutes les colonnes tombèrent, excepté celle de Dioclétien.

Non-seulement l'auteur nous donnera les dessins de tant d'édifices; mais comme il paroît avoir des connoissances très-variées, il ne négligera Nous nous sommes fait un vrai plaisir, malpoint la numismatique et les inscriptions. L'Es-gré le besoin que nous avons de repos, d'annonpagne est très-riche dans ce genre, et quoique cer le magnifique ouvrage dont M. de Laborde Ponce ait fait beaucoup de recherches sur ce sujet, publie aujourd'hui les deux premières livraisons.

On peut y avoir toute confiance. Ce n'est point ici une spéculation de librairie; c'est l'entreprise d'un amateur éclairé, qui apporte à son travail les lumières suffisantes et les restes d'une grande fortune. Employer ainsi les débris de ses richesses, c'est faire un reproche bien noble à cette révolution qui en a tari les principales sources. Quand on se rappelle que les deux frères de M. de Laborde ont péri dans le voyage de M. de la Peyrouse, victimes de l'ardeur de s'instruire, pourroit-on n'être pas touché de voir le dernier rejeton d'une famille amie des arts se consacrer à un genre de fatigues et d'études déjà fatal à ses frères?

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Dans la région du couchant, et au centre de la ville, vers le Calvaire, les maisons se serrent d'assez près; mais au levant, le long de la vallée de Cédron, on aperçoit des espaces vides, entre autres l'enceinte qui règne autour de la mosquée bâtie sur les débris du temple, et le terrain presque abandonné où s'élevoit le château Antonia et le second palais d'Hérode.

Les maisons de Jérusalem sont de lourdes masses carrées fort basses, sans cheminées et sans fenêtres; elles se terminent en terrasses aplaties ou en dômes; et elles ressemblent à des prisons ou à des sépulcres. Tout seroit à l'œil d'un niveau égal, si les clochers des églises, les minarets des mosquées, les cimes de quelques cyprès, et les buissons des aloès et des nopals, ne rompoient l'uniformité du plan. A la vue de ces maisons de pierres renfermées dans un paysage de pierres, on se demande si ce ne sont pas là les monuments confus d'un cimetière au milieu d'un désert.

Entrez dans la ville, rien ne vous consolera de la tristesse extérieure: vous vous égarez dans de petites rues non pavées qui montent et des cendent sur un sol inégal, et vous marchez dans des flots de poussière ou parmi des cailloux roulants; des toiles jetées d'une maison à l'autre augmentent l'obscurité de ce labyrinthe; des bazars voûtés et infects achèvent d'òter la lumière à la ville désolée; quelques chétives boutiques n'éta

On se fait aujourd'hui une obligation de trouver des taches dans les ouvrages les plus parfaits. Pour remplir ce triste devoir de la critique, nous dirons que les planches de cette première livraison ont peut-être un peu de sècheresse; mais on doit observer que ce défaut tient à la nature même des objets représentés. Il eût été facile à l'auteur de commencer sa publication par les dessins de l'Alhambra ou de la cathédrale de Cordoue. Au-dessus de cette petite charlata-lent aux yeux que la misère; et souvent ces bounerie, il a suivi l'ordre des monuments, et cet ordre l'a forcé à donner d'abord des perspectives de villes: or, ces perspectives sont naturellement froides de styleet vagues d'expression. Barcelone, privée du mouvement et du bruit, ne peut offrir qu'un amas immobile d'édifices.

D'ailleurs, on peut faire le même reproche de sécheresse aux dessins de toutes les villes. Nous avons dans ce moment même sous les yeux une vue de Jérusalem, tirée du Voyage pittoresque de Syrie quel que soit le mérite des artistes, nous ne reconnoissons point là le site terrible et le caractère particulier de la Ville sainte.

Vue de la montagne des Oliviers, de l'autre côté de la vallée de Josaphat, Jérusalem présente un plan incliné sur un sol qui descend du couchant au levant. Une muraille crénelée, fortifiée par des tours et par un château gothique, enferme la ville dans son entier, laissant toutefois au dehors une partie de la montagne de Sion, qu'elle embrassoit autrefois.

tiques mêmes sont fermées, dans la crainte du passage d'un cadi; personne dans les rues, personne aux portes de la ville; quelquefois seulement un paysan se glisse dans l'ombre, cachant sous ses habits les fruits de son labeur, dans la crainte d'être dépouillé par le soldat; dans un coin à l'écart, le boucher arabe égorge quelque bête suspendue par les pieds à un mur en ruines; à l'air hagard et féroce de cet homme, à ses bras ensanglantés, vous croiriez qu'il vient plutôt de tuer son semblable que d'immoler un agneau. Pour tout bruit dans la cité déicide, on entend par intervalle le galop de la cavale du désert; c'est le janissaire qui apporte la tête du bédouin, ou qui va piller le fellah.

Au milieu de cette désolation extraordinaire, il faut s'arrêter un moment pour contempler des choses plus extraordinaires encore. Parmi les ruines de Jérusalem, deux espèces de peuples indépendants trouvent dans leur foi de quoi sur monter tant d'horreurs et de misères. Là vivent

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des religieux chrétiens que rien ne peut forcer à | pays; il faut les voir attendant, sous toutes les abandonner le tombeau de Jésus-Christ, ni spo- oppressions, un roi qui doit les délivrer. Ecrasés liations, ni mauvais traitements, ni menaces de par la croix qui les condamne, et qui est planla mort. Leurs cantiques retentissent nuit et jour tée sur leurs têtes, près du temple, dont il ne autour du Saint-Sépulcre. Dépouillés le matin reste pas pierre sur pierre, ils demeurent dans par un gouverneur turc, le soir les retrouve au leur déplorable aveuglement. Les Perses, les pied du Calvaire, priant au lieu où Jésus-Christ Grecs, les Romains ont disparu de la terre; et souffrit pour le salut des hommes. Leur front est un petit peuple, dont l'origine précéda celle de serein, leur bouche riante. Ils reçoivent l'étran- ces grands peuples, existe encore sans mélange ger avec joie. Sans forces et sans soldats, ils pro- dans les décombres de sa patrie. Si quelque tégent des villages entiers contre l'iniquité. Pres- chose, parmi les nations, porte le caractère sés par le bâton et par le sabre, les femmes, les du miracle, nous pensons qu'on doit le trouver enfants, les troupeaux des campagnes se réfugient ici. Et qu'y a-t-il de plus merveilleux, même aux dans les cloîtres des solitaires. Qui empêche le yeux du philosophe, que cette rencontre de l'anméchant armé de poursuivre sa proie, et de rentique et de la nouvelle Jérusalem au pied du verser d'aussi foibles remparts? La charité des Calvaire la première s'affligeant à l'aspect du moines ils se privent des dernières ressources sépulcre de Jésus-Christ ressuscité; la seconde de la vie pour racheter leurs suppliants. Turcs, se consolant auprès du seul tombeau qui n'aura Arabes, Grecs, chrétiens schismatiques, tous se jettent sous la protection de quelques pauvres religieux francs qui ne peuvent se défendre euxmêmes: c'est ici qu'il faut reconnoître, avec Bossuet, «< que des mains levées vers le ciel enfoncent plus de bataillons que des mains armées de ja« velots. »

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rien à rendre à la fin des siècles?

SUR

LES ANNALES LITTÉRAIRES,

OU

DE LA LITTÉRATURE

AVANT ET APRÈS LA RESTAURATION,
OUVRAGE DE M. DUSSAULT.

Février 1819.

Tandis que la nouvelle Jérusalem sort ainsi du désert, brillante de clarté, jetez les yeux entre la montagne de Sion et le temple, voyez cet autre petit peuple qui vit séparé du reste des habitants de la cité. Objet particulier de tous les mépris, il baisse la tête sans se plaindre, il souffre toutes les avanies sans demander justice, il se laisse accabler de coups sans soupirer on lui demande sa tête, il la présente au cimeterre. Si quelque membre de cette société proscrite vient à mourir, son compagnon iar, pendant la nuit, l'enterrer furtivement dans la vallée de Josaphat, à l'ombre du temple de Salomon. Pénétrez dans la demeure de ce peuple, vous le trouverez dans une affreuse misère, faisant lire un livre mystérieux à des enfants qui le feront lire à leur tour à leurs enfants. Ce qu'il faisoit il y a cinq mille ans, ce peuple le fait encore. Il a assisté six fois à la ruine de Jérusalem, et rien ne peut le décourager, rien ne peut l'empêcher de tourner ses regards vers Sion. Quand on voit les Juifs dispersés sur la terre, selon la parole de Dieu, on est surpris sans doute, mais, pour être frappé « Tout le système de l'opinion publique étoit, d'un étonnement surnaturel, il faut les retrouver « pour ainsi dire, à recréer. Le mauvais sens et à Jérusalem; il faut voir ces légitimes maîtres « l'erreur avoient tout infecté en politique, en de la Judée esclaves et étrangers dans leur propre << morale, en littérature; les vrais principes en

Lorsque la France, fatiguée de l'anarchie, chercha le repos dans le despotisme, il se forma une espèce de ligue des hommes de talent pour nous ramener par les saines doctrines littéraires aux doctrines conservatrices de la société. MM. de la Harpe, de Fontanes, de Bonald, M. l'abbé de Vauxcelles, M. Guéneau de Mussy, écrivoient dans le Mercure; MM. Dussault, Féletz, Fiévée, Saint-Victor, Boissonade, Geoffroy, M. l'abbé de Boulogne, combattoient dans le Journal des Débats. « On a vu, dit M. Dussault en parlant de « cette époque si remarquable pour les lettres; « on a vu des talents du premier ordre entrer dans «< cette lice des écrits périodiques, pour y com<< battre tous les faux systèmes. .

« tout ce qui sert de garantie et de lien à l'ordre « social étoit brisé, et les règles du goût, plus << unies qu'on ne pense aux autres éléments con« servateurs de la société, avoient subi la desti« née commune. »

La littérature révolutionnaire fut foudroyée, et le goût reparut dans le style avec l'ordre dans l'État.

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« tous genres étoient méprisés, proscrits, oubliés; « de comédies à la glace, et cette foule d'intrigants littéraires de toute espèce, qui connoissoient aussi peu l'art d'écrire qu'ils connois « soient bien l'art de se faire des réputations; cette « foule de Cottins et de Pelletiers nouveaux, qui « s'emparoient subtilement de l'admiration d'un « siècle dont ils ne méritoient que le mépris? « Mais puisque la nature ne prodigue pas les « hommes tels que Boileau, et puisqu'elle ne pro« duit pas ordinairement deux talents de cette « force dans un espace de temps si borné, qu'on se figure seulement Voltaire, avec le rare talent qu'il avoit pour se servir de l'arme du ridicule, << dont il a tant abusé, tournant cette même « arme, si redoutable entre ses mains, contre «< ceux dont il s'étoit déclaré l'appui et le chef, <«<et se moquant d'eux en public, comme il s'en ‹ moquoit quelquefois en secret. Croit-on que << tout cet édifice de réputations factices, bâties « sur le sable et sur la boue, auroit pu résister «< aux traits qu'il auroit su lancer? S'il avoit seulement dirigé contre la fausse et dangereuse « philosophie de son siècle la moitié de l'esprit « qu'il a prodigué contre les institutions les plus «< utiles et les plus sacrées, c'en étoit fait de tant <«< de beaux systèmes, de tant de brillantes renommées, de toute cette sublime doctrine dont <«< nous avons pu apprécier les effets, après en « avoir admiré si longtemps et si stupidement les « théories.

Buonaparte favorisoit cette entreprise, quoiqu'il sût bien que presque tous ceux qui la soutenoient étoient ennemis de son gouvernement. Il disoit un jour à M. de Fontanes : «< Il y a deux « littératures en France, la petite et la grande; « j'ai la petite, mais la grande n'est pas pour moi. » Et pourtant il laissoit faire à cette grande littérature qui, de son aveu, n'étoit pas pour lui, mais qui recomposoit les principes de la monarchie, en détruisant ceux de la révolution. Or, comme il vouloit régner, peu lui importoit de quelle main il recevoit le pouvoir. Aujourd'hui le gouvernement a aussi pour lui la petite littérature; la grande se tait.

Il y a un monument précieux de l'état de la littérature sous Buonaparte; c'est le recueil que nous avons déjà cité plus haut. Si on écrivoit aujourd'hui la plupart des articles qui composent les Annales littéraires, non-seulement on crieroit au gothicisme, au fanatisme, à la réaction; mais il est probable que ces articles ne seroient pas admis à la censure. Quel censeur, par exemple, seroit assez téméraire pour laisser passer le morceau suivant?

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« Sans doute nos prudents penseurs, dit l'au«teur des Annales littéraires, ne doivent point « prononcer sans un secret effroi le nom de Boileau. Ils doivent craindre qu'il ne sortit de ses « cendres pour les démasquer. Quelle matière en « effet le siècle dernier n'auroit-il pas offerte à sa verve satirique! Combien n'auroit il pas trouvé, « sous les étendards de la philosophie, de mauvais « écrivains à railler, de charlatans à dévoiler, de « prétentions à confondre, d'injustes réputations « à renverser! De quel œil auroit-il vu, de quel <«<trait de ridicule auroit-il marqué un rhéteur boursouflé comme Thomas, un déclamateur frénétique comme Diderot, un bel esprit pincé a comme d'Alembert, un rêveur de systèmes ridi«cules comme Helvétius, et ces auteurs de tragé« dies à la Shakespeare, et ces faiseurs de drames " aussi ennuyeux que lugubres, et ces marchands

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Nous le répétons, présentez aujourd'hui de pareils articles à la censure, et l'on y verra, avec une conspiration contre le roi, la destruction de la Charte, le rappel des moines, le retour à la féodalité.

Toutefois, à l'époque où l'on manifestoit ces pensées, elles sembloient si naturelles à chacun, qu'elles trouvoient à peine des contradicteurs. M. de Barante, dans un ouvrage remarquable sur la Littérature françoise pendant le dix-huitième siècle, ne parle pas avec plus de respect des écrivains de cette époque. « Ce sont, dit-il, des écrivains vivant au milieu d'une société frivole, animés de son esprit, organes de ses opinions, excitant et partageant un enthou<< siasme qui s'appliquoit à la fois aux choses les « plus futiles et aux objets les plus sérieux; jugeant de tout avec facilité, conformément à des im

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Les philosophes qui avoient acquis leur nom à si bon marché méritoient bien d'être démasqués par ceux qui ont été les victimes de leurs principes. En voyant la ligue qui s'étoit formée contre ces premiers auteurs de nos maux, le critique à qui nous devons les Annales se croit sûr du triomphe. « On est désabusé, dit-il, du charlatanisme littéraire, de la forfanterie philosophique.... Quel singulier spectacle offroit la littérature fran« çoise! On vit jusqu'à de misérables poëtes, qui « n'avoient rien dans la tète que quelques bhémisti«ches; des faiseurs de mauvaises tragédies, pleins d'orgueil et vides d'idées ; de petits auteurs de ⚫vers galants, bouffis de suffisance, se croire des législateurs. . . C'est un public, dit«on, qui manque à notre littérature. « Oui, sans doute, messieurs, il manque un public a à votre littérature, et ce public lui manquera « longtemps, parce qu'on est aujourd'hui pleine« ment désabusé de toutes vos folles idées, de tous << vos vains systèmes. »

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Que l'auteur n'a-t-il dit la vérité ! Mais pouvoit-il prévoir que ces doctrines, qui sembloient à jamais détruites, étoient si près de renaître? pouvoit-il deviner que ces filles illégitimes de nos malheurs reparoîtroient avec la légitimité? Veut-on faire un rapprochement curieux, qu'on lise les articles des Annales littéraires, et qu'on les compare à ceux où l'on prêche ouvertement la démocratie dans nos journaux censurés. La censure impériale, qui laissoit passer les articles monarchiques, arrêtoit les articles démocratiques : c'étoit au moins du bon sens dans le despotisme.

En parcourant les Annales littéraires, on peut faire encore une autre observation on y voit partout annoncée la réimpression des auteurs du siècle de Louis XIV; maintenant ce sont les auteurs du siècle de Louis XV qu'on réimprime: on vouloit conserver, voudroit-on détruire?

Aujourd'hui que les bonnes études s'en vont avec le reste, la publication des Annales est un véritable service rendu aux lettres. On trouve partout dans ce recueil, avec la tradition des saines doctrines, un jugement sûr, un goût formé à la meilleure école, un style clair, excellent

surtout dans le sérieux, une verve critique, et un talent qui emprunte de la raison une naturelle éloquence. Il y a cependant dans les Annales un principe que nous ne pourrions complétement adopter. L'auteur pense que la critique n'étouffe que les mauvais écrivains, qu'elle n'est redoutable qu'à la médiocrité. Nous ne sommes pas tout à fait de cet avis.

Il étoit utile sans doute, au sortir du siècle de la fausse philosophie, de traiter rigoureusement des livres et des hommes qui nous ont fait tant de mal, de réduire à leur juste valeur tant de réputations usurpées, de faire descendre de leur piédestal tant d'idoles qui reçurent notre encens en attendant nos pleurs. Mais ne seroit-il pas à craindre que cette sévérité continuelle de nos jugements ne nous fit contracter une habitude d'humeur dont il deviendroit malaisé de nous dépouiller ensuite? Le seul moyen d'empêcher que cette humeur prenne sur nous trop d'empire seroit peut-être d'abandonner la petite et facile critique des défauts, pour la grande et difficile critique des beautés. Les anciens, nos maîtres, nous offrent, en cela comme en tout, leur exem ple à suivre. Aristote a consacré le xxive chapitre de sa Poétique à chercher comment on peut excuser certaines fautes d'Homère, et il trouve douze réponses, ni plus ni moins, à faire aux censeurs; naïveté charmante dans un aussi grand homme. Horace, dont le goût étoit si délicat, ne veut pas s'offenser de quelques taches: Non ego paucis offendar maculis. Quintilien trouve à louer jusque dans les écrivains qu'il condamne; et s'il blâme dans Lucain l'art du poëte, il lui reconnoît le mérite de l'orateur : Magis oratoribus quam poetis enumerandus.

Une censure, fût-elle excellente, manque son but si elle est trop rude. En voulant corriger l'auteur, elle le révolte, et par cela même elle le confirme dans ses défauts ou le décourage; véritable malheur, si l'auteur a du talent.

Il semble donc que l'on doit applaudir avec franchise à ce qu'ily a de bon dans un écrivain, et reprendre ce qu'il y a de mal avec ménagement et politesse. Racine, modèle de naturel et de simplicité dans son âge mûr, n'étoit pas exempt d'affectation et de recherche dans sa jeunesse. Boileau eût-il ramené Racine aux principes du goût, s'il n'avoit fait que reprocher durement au jeune poëte les vices de son style? Mais, en même temps qu'il gourmandoit l'auteur de la

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