Page images
PDF
EPUB

sterling reçues pour la vente de son poëme. Ces incomparables génies, qui tous les deux, dans des rangs opposés, avoient fait le portrait de Cromwell, s'ignoroient l'un l'autre, et n'entendirent peut-être jamais prononcer leurs noms; les aigles qui sont vus de tous, vivent un à un et solitaires dans la montagne.

Milton mourut juste à moitié terme entre deux révolutions, quatorze ans après la restauration de Charles II, et quatorze ans avant l'avénement de Guillaume. Il fut enterré près de son père, dans le choeur de l'église de Saint-Gilles. Longtemps après, les curieux alloient voir une petite pierre dont l'inscription n'étoit plus lisible: cette pierre gardoit les cendres délaissées de Milton; on ne sait si le nom de l'auteur du Paradis perdu n'avoit point été effacé.

La famille du poëte s'enfonça vite dans l'obscurité. Trente ans s'étoient écoulés depuis la mort de Milton, lorsque Déborah, voyant pour la première fois le portrait du poëte, alors devenu célèbre, s'écria : « O mon père, mon cher père ! » Déborah avoit épousé Abraham Clarke, tisserand dans Spithfields; elle mourut, âgée de soixanteseize ans, au mois d'août 1727. Une de ses filles se maria à Thomas Foster, tisserand aussi. Réduite à la misère, un critique proposa une souscription en sa faveur : « Cette proposition, dit-il, doit être bien reçue, puisqu'elle est faite par moi, qu'on pourroit regarder comme le Zoïle de l'Homère anglois. Zoile n'eut pas le plaisir de nourrir la petite-fille d'Homère des outrages qu'il avoit prodigués au père de l'épopée biblique. Le parterre anglois devint le tuteur de l'orpheline; elle eut à son bénéfice une représentation du Masque, dont Samuel Johnson, d'ailleurs assez dur dans son jugement sur Milton, fit le prologue.

D

Déborah fut connue du professeur Ward, et de Richardson, à qui nous devons une vie de Milton. Addison se fit le patron de Déborah, et obtint pour elle, de la reine Caroline, cinquante guinées.

Un fils de Déborah, Caleb Clarke, passa aux Indes dans les premières années du dix-huitième siecle. On a su, par sir James Mackintosh, que ce petit-fils de Milton avoit été clerc de paroisse à Madras. Caleb Clarke eut de sa femme Marie trois enfants Abraham, Marie, morte en 1706, et Isaac. Abraham, arrière-petit-fils de Milton, épousa au mois de septembre 1725, Anna Clarke; il en eut une fille, Marie Clarke, portée sur les

registres de naissance, à Madras, 2 avril 1727. Là disparoît toute trace de la famille de Milton. On ne sait ce que sont devenus Abraham et Isaac, qui ne moururent point à Madras, et dont jusqu'à présent on n'a point fait vérifier le décès sur les registres de Calcutta et de Bombay. S'ils étoient retournés en Angleterre, ils n'auroient point échappé aux admirateurs et biographes de Milton: ils se sont donc perdus dans les vastes régions de l'Inde, au berceau du monde chanté par leur aïeul. Peut-être quelques gouttes inconnues du sang libre de Milton animent aujourd'hui le cœur d'un esclave; peut-être aussi coulentelles dans les veines d'un prêtre de Buddha, ou dans celles d'un de ces bergers indiens, qui se retire au frais sous un figuier, et surveille «< ses « troupeaux à travers les entaillures coupées dans « le feuillage le plus épais. »

Shelters in cool, end tends his pasturing herds
At loopholes cut thro' thickest shade.

Paradise lost.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Soit qu'en traduisant Milton, l'habitude d'une société intime m'ait accoutumé à ses défauts; soit qu'élargissant la critique, je juge le poëte d'après les idées qu'il devoit avoir, je ne suis plus blessé des choses qui me choquoient autrefois. La découverte de l'artillerie dans le ciel me semble aujourd'hui découler d'une idée fort naturelle : Milton fait inventer par Satan ce qu'il trouve de pire parmi les hommes. Il revient souvent sur cette invention à propos de la conspiration des poudres; il a cinq pièces latines, in Proditionem bombardicam; in Inventorem bombardæ.

Cependant la renommée du Paradis perdu | nocence, deviné les majestueuses amours d'Eve ne marcha qu'avec lenteur : des mœurs frivoles et d'Adam? et corrompues, l'aversion qu'on portoit à des sectes religieuses dont les excès avoient fait naître l'esprit d'incrédulité, s'opposoient au succès d'un poëme aussi sévère par le sujet, le style et la pensée ni le duc de Buckingham, ni le comte de Rochester, ni le chevalier Temple, ne s'occupent de Milton. Mais, en 1688, une édition in-folio du Paradis perdu, sous le patronage de lord Sommers, fit du bruit : on eût dit que la gloire de l'ennemi des Stuarts, par eux opprimée, avoit attendu l'année de leur chute pour éclater. Si Milton eût vécu, comme son frère, jusqu'à l'époque de la révolution de 1688, eût-il trouvé grâce devant le gouvernement nouveau? J'en doute; on ne fit que changer de roi. Le vieux régicide Ludlow, accouru de Lausanne, se trouva aussi étranger sous Guillaume III qu'il l'eût été sous Jacques II: homme d'un autre temps, il retourna mourir dans

sa solitude.

Peu à peu les éditions du Paradis perdu se multiplièrent. Addison lui consacra dix-huit articles du Spectateur. Alors il n'y eut plus assez d'autels pour le dieu; Milton prit, dans le culte public, sa place à côté de Shakespeare.

Les railleries des démons sont une imitation des railleries des héros d'Homère. J'aime à voir l'I

liade apparoître au travers du Paradis perdu.

Les démons changés en serpents qui sifflent leur chef, lorsqu'il vient se vanter d'avoir (sous la figure d'un serpent) perdu la race humaine, sont les caprices, d'ailleurs étonnamment bien exprimés, d'une imagination surabondante. Dans les critiques que l'on a faites de ce passage, on n'a pas vu, ou on n'a pas voulu voir l'explication que le poëte lui-même donne de la métamorphose : elle est conforme au sujet de l'ouvrage et aux traditions les plus populaires du christianisme. C'est pour la dernière fois que l'on aperçoit Satan : le prince des ténèbres, superbe intelligence au com

dam, devient hideux reptile à la fin du poëme, après la chute de l'homme: au lieu de l'esprit qui brilloit encore à l'égal du soleil éclipsé, il ne vous reste plus que l'ancien serpent, que le vieux dragon de l'abîme.

Quelques voix opposantes se firent entendre pourtant; aucune grande renommée ne s'élève sans contradicteurs. On prétendit que Milton avoit imité Masénius, Ramsay, Vida, Sannazar, Ro-mencement du poëme, avant la séduction d'Amous, Fletcher, Staforst, Taubman, Andreini, Quintianus, Malapert, Fox: on auroit pu ajouter à cette liste Saint-Avite, Dubartas et le Tasse: Saint-Avite a de très-belles scènes dans Éden. Il est probable que Milton, à Naples, dans la compagnie de Manso, avoit lu les Sette giornale del mondo creato du Tasse. Le chantre de la Jéru-quelques traits de mauvais goût : « ce dîner (de Il seroit moins injuste de reprocher à Milton salem fait sortir Ève du sein d'Adam, tandis que Dieu arrosoit d'un sommeil paisible les membres de notre premier père assoupi :

Ed irrigò di placida quiete

Tutte le membra al sonnacchioso...

Le Tasse amollit l'image biblique, et dans ses douces créations la femme n'est plus que le premier songe de l'homme.

Que fait tout cela à la gloire de Milton? Ces prétendus originaux ont-ils ouvert leurs ouvrages par le réveil de Satan dans l'enfer? ont-ils traversé le chaos avec l'ange rebelle, aperçu la création du seuil de l'empyrée, apostrophé le soleil, contemplé le bonheur de l'homme dans sa primitive in

«

fruits) qui ne refroidit pas,» par exemple. J'aurois voulu pouvoir supprimer les vers où Adam dit à Ève qu'elle est une cóte tortueuse que lui, Adam, avoit de trop; et malheureusement cette injure se trouvoit placée dans un morceau dramatique d'une beauté achevée.

Le poëte abuse un peu de son érudition; mais après tout, mieux vaut être trop instruit que de ne l'être pas assez Milton a tiré plus de beautés de son savoir que Shakespeare de son ignorance. N'est-il pas surprenant qu'au milieu de la mauvaise physique de son temps il annonce l'attraction, démontrée depuis par Newton? Keppler, Boullian et Hook, il est vrai, avoient

mis sur la voie de la découverte, et Milton auroit | la création d'une nouvelle race formée à despu connoître ce qu'on appeloit alors la force trac- sein de remplir le vide laissé par les anges tomtoire. Dans l'antiquité, Aristarque fait du soleil bés: chose formidable! c'est dans l'enfer que le centre unique de l'univers. l'on entend prononcer pour la première fois le nom de l'HOMME.

Des nuances et des lumières manquent, de fois à autre, dans les tableaux du poëte; on devine que le peintre ne voit plus, comme en musique on reconnoît le jeu d'un aveugle à l'indéfini de certaines notes. Les descriptions du Paradis perdu ont quelque chose de doux, de velouté, de vaporeux, d'idéal, comme des souvenirs : les soleils couchants de Milton, en rapport avec son âge, la nuit de ses paupières et la nuit approchante de sa tombe, ont un caractère de mélancolie qu'on ne retrouve nulle part. Lui demanderez-vous rien de plus, lorsqu'en peignant une nuit dans Éden, il vous dit : « Le rossignol répétoit ses plaintes ⚫ amoureuses, et le silence étoit ravi. » Cinq ou six vers, hors de tous les lieux communs, lui suffisent pour offrir le spectacle religieux du matin. La lumière sacrée commença de poindre ⚫ dans l'orient parmi les fleurs humides; elles ex⚫ haloient leur encens matinal, alors que tout ce « qui respire sur le grand autel de la terre élève < vers le Créateur des louanges silencieuses et une « odeur qui lui est agréable. » On croit lire un verset des psaumes: Jubilate Deo omnis lerra; Benedic anima mea Domino.

Enfin, si le poëte montre quelquefois de la fatigue, si la lyre échappe à sa main lassée, il repose et je me repose avec lui je ne voudrois pas que les beaux endroits du Cid et des Horaces fussent joints ensemble par des harmonies élégantes et travaillées; les simplicités de Corneille sont un passage à ses grandeurs qui me charme

encore.

PLAN DU PARADIS PERDU.

Que dirai-je du Paradis perdu qui n'ait déjà été dit? Mille fois on en a cité les traits sublimes, les discours, les combats, la chute des anges, et cet enfer qui eût fui épouvanté si Dieu n'en avoit creusé si profondément l'abime. J'insisterai donc principalement sur la composition générale de l'ouvrage, pour faire remarquer l'art avec lequel le tout est conduit.

Satan s'est réveillé au milieu du lac de feu (et quel réveil!). Il rassemble le conseil des légions punies; il rappelle à ses compagnons de malheur et de désobéissance, un ancien oracle qui annonçoit la naissance d'un monde nouveau,

Satan propose d'aller à la recherche de ce monde inconnu, de le détruire ou de le corrompre. Il part, explore l'enfer, rencontre le Péché et la Mort, se fait ouvrir les portes de l'abîme, traverse le chaos, découvre la création, descend au soleil, arrive sur la terre, voit nos premiers parents dans Éden, est touché de leur beauté et de leur innocence, et donne, par ses remords et son attendrissement, une idée ineffable de leur nature et de leur bonheur. Dieu aperçoit Satan du haut du ciel, prédit la foiblesse de l'homme, annonce sa perte totale, à moins que quelqu'un ne se présente pour être sa caution et mourir pour lui : les anges restent muets d'épouvante. Dans le silence du ciel, le FILS seul prend la parole et s'offre en sacrifice. La victime est acceptée, et l'homme est racheté avant même d'être tombé.

Le Tout-Puissant envoie Raphaël prévenir nos premiers pères de l'arrivée et des projets de leur ennemi. Le messager céleste fait à Adam le récit de la révolte des anges, arrivée au moment où le PÈRE annonça du haut de la montagne sainte qu'il avoit engendré son FILS, et qu'il lui remettoit tout pouvoir. L'orgueil et la jalousie de Satan, excités par cette déclaration, l'entraînent au combat: vaincu avec ses légions, il est précipité dans l'enfer. Milton n'avoit aucunes données; pour trouver le motif de la révolte de Satan, il a fallu qu'il tirât tout de son génie. Ainsi, avec l'art d'un grand maître, il fait connoître ce qui a précédé l'ouverture du poëme. Raphaël raconte encore à Adam l'œuvre des six jours. Adam raconte à son tour à Raphaël sa propre création. L'ange retourne au ciel. Ève se laisse séduire, goûte au fruit, et entraîne Adam dans sa chute.

Au dixième livre, tous les personnages reparoissent; ils viennent subir leur sort. Au onzième et au douzième livres, Adam voit la suite de sa faute et tout ce qui arrivera jusqu'à l'incarnation du Christ le FILS doit, en s'immolant, racheter l'homme. Le FILS est un des personnages du poëme : au moyen d'une vision, il reste seul et le dernier sur la scène, afin d'accomplir dans le monologue de la croix l'action définitive: consummatum est.

[ocr errors]

Voilà l'ouvrage en sa simplicité. Les faits et les | semble que le genre humain, sa postérité malrécits naissent les uns des autres; on parcourt heureuse, n'a osé parler de lui; saint Paul même l'enfer, le chaos, le ciel, la terre, l'éternité, le ne le nomme pas parmi les saints qui ont vécu temps, au milieu des blasphèmes et des canti- de la foi; l'apôtre n'en commence la liste qu'à ques, des supplices et des joies; on se promène Abel. Adam passe pour le chef des morts, parce dans ces immensités tout naturellement, sans s'en que tous les hommes sont morts en lui; et néanapercevoir, sans ressentir aucun mouvement, moins, durant neuf siècles, il vit défiler ses fils sans se douter des efforts qu'il a fallu pour vous vers la tombe dont il étoit l'inventeur, et qu'il leur porter si haut sur des ailes d'aigle, pour créer avoit ouverte. un pareil univers.

Cette observation touchant la dernière apparition du FILS montre, contre l'opinion de certains critiques, que Milton auroit eu tort de retrancher les deux derniers livres. Ces livres, que l'on regarde, je ne sais pourquoi, comme les plus foibles du poëme, sont, selon moi, tout aussi beaux que les autres; ils ont même un intérêt humain qui manque aux premiers. Du plus grand des poëtes qu'il étoit, l'auteur devient le plus grand historien, sans cesser d'être poëte. Michel annonce à nos premiers pères qu'il faut sortir du paradis. Ève pleure; elle se désole de quitter ses fleurs: «O fleurs, dit-elle, qui toutes avez « reçu de moi vos noms.» Trait charmant, qu'on | a cru d'un dernier poëte germanique, et qui n'est qu'une de ces beautés dont les ouvrages de Milton fourmillent. Adam se plaint aussi, mais c'est d'abandonner les lieux que Dieu avoit daigné honorer de sa présence: « J'aurois pu dire à mes enfants : « Sur cette montagne il m'apparut; sous cet arbre il se rendit visible à mes yeux; entre <«< ces pins j'entendis sa voix; au bord de cette « fontaine je m'entretins avec lui. »

[ocr errors]

Cette idée de Dieu, dont l'homme est dominé dans le Paradis perdu, est d'une sublimité extraordinaire. Ève, en naissant à la vie, n'est occupée que de sa beauté et ne voit Dieu qu'à travers l'homme; Adam, aussitôt qu'il est créé, devinant qu'il n'a pas pu se créer seul, cherche et appelle aussitôt son créateur.

Après le meurtre d'Abel, l'ange montre à Adam un hôpital et les différentes espèces de morts; tableau plein de vigueur à la manière du Tintoret. « Adam pleure à cette vue, dit le poëte, « quoi qu'il ne fût pas né d'une femme. »> Réflexion pathétique inspirée au poëte par ce passage de Job: « L'homme né de la femme ne vit que peu « de temps, et il est rempli de beaucoup de mi

« sères. »

L'histoire des géants de la montagne, que séduisent les femmes de la plaine, est merveilleusement contée. Le déluge offre une vaste scène. Dans ce x1e livre, Milton imite Dante par ses for mes d'interpellations du dialogue: MAITRE! Dante auroit invité Milton, comme un frère, à entrer avec lui dans le groupe des grands poëtes.

sa

Au XII livre, ce n'est plus une vision, c'est un récit. La tour de Babel, la vocation d'Abraham, la venue du Christ, son incarnation, résurrection, sont remplies de beautés de tous les genres. Le livre se termine par le bannissement d'Adam et d'Ève, et par les vers si tristes que tout le monde sait par cœur.

Dans ces deux derniers livres la mélancolie du poëte s'est augmentée; il paroît sentir davantage le poids du malheur et des ans. Il met dans la bouche de Michel ces paroles :

« Tu jouiras de la vie; et, pareil à un fruit « parvenu à sa maturité, tu retomberas dans le << sein de la terre d'où tu es sorti. Tu seras, non « pas durement arraché, mais doucement cueilli Ève demeure endormie au pied de la monta- « par la mort, quand tu seras parvenu à cette magne: Michel, au sommet de la même montagne,« turité qui s'appelle vieillesse. Mais alors il te montre à Adam, dans une vision, toute sa race. Alors se déroule la Bible. D'abord vient l'histoire de Caïn et d'Abel : « O maître, s'écrie Adam à l'ange, en voyant tomber Abel, est-ce là la << mort? est-ce par cechemin que je dois retourner « à ma poussière natale?» Remarquons que dans l'Écriture il n'est plus question d'Adam après sa chute; un grand silence s'étend entre son péché et sa mort pendant neuf cent trente anuées, il

« faudra survivre à ta jeunesse, à ta force, à ta « beauté qui se changera en laideur, en foiblesse, « en maigreur. Tes sens émoussés auront perdu «< ces goûts et ces douceurs qui les flattent maintenant, et au lieu de cet air de jeunesse, de gaieté, « de vivacité qui t'anime, règnera dans ton sang desséché une froide et stérile mélancolie, qui appesantira tes esprits et consumera enfin le

[ocr errors]

"

[ocr errors]

baume de ta vie. »

pagne.

Un commentateur, à propos du génie de Mil- | peint ses transports à la première vue de sa comton, dans ces derniers livres du Paradis perdu, dit : « C'est le même océan, mais dans le temps du reflux; le même soleil, mais au moment où il « finit sa carrière. »

Soit. La mer me paroît plus belle lorsqu'elle me permet d'errer sur ses grèves abandonnées, et qu'elle se retire à l'horizon avec le soleil couchant.

CARACTÈRES DES PERSONNAGES DU PARADIS PERDU. ADAM ET ÉVE.

Milton a placé dans le premier homme et la première femme le type original de leurs fils et de leurs filles sur la terre.

[ocr errors]

Dans leurs regards divins brilloit l'image de leur glorieux auteur, avec la vérité, la sagesse, la sainteté sévère et pure; sévère, mais placée < dans cette véritable liberté filiale d'où vient la a véritable autorité dans les hommes. Ils ne sont *pas égaux, comme leur sexe n'est pas sembla<ble: LUI, formé pour la contemplation et le courage; ELLE, pour la mollesse et la douce grâce ⚫ séduisante; LUI, pour Dieu seulement; ELLE, pour «Dieu en LUI. Le beau large front de l'homme et son œil sublime déclaroient sa suprême puis*sance; ses cheveux d'hyacinthe, partagés autour de son front, pendent en grappe d'une ma«nière mâle, mais non au-dessous de ses larges épaules. La femme porte comme un voile sa ⚫ chevelure d'or qui descend éparse et sans orne*ment jusqu'à sa ceinture déliée : ses tresses <roulent en capricieux anneaux, comme la vigne replie ses attaches; ce qui implique la dépendance, mais une dépendance demandée avec un doux empire; par la femme accordée, par l'homme mieux reçue; accordée avec une soumission modeste, un décent orgueil, une tendre ⚫résistance; amoureux délai !...

[ocr errors]

Ainsi ils passoient nus; ils n'évitoient ni la vue de Dieu, ni celle de l'ange, car ils ne songeoient point au mal; ainsi en se tenant par la main, passoit le plus charmant couple qui s'unit jamais depuis dans les embrassements de l'amour, Adam le plus beau des hommes qui furent ses fils, Ève la plus belle des femmes qui naquirent ses filles.» (Paradis perdu, liv. iv.) Adam, simple et sublime, instruit du ciel, et tirant son expérience de Dieu, n'a qu'une foiblesse, et l'on voit que cette foiblesse le perdra : après avoir raconté sa propre création à Raphaël, ses conversations avec Dieu sur la solitude, il

[ocr errors]
[ocr errors]

« Il me sembla voir, quoique endormi, le lieu

où j'étois et la figure glorieuse devant laquelle

je m'étois tenu éveillé. En se baissant elle m'ou

« vrit le côté gauche, y prit une côte chaude des esprits du cœur, et ruisselant du sang nouveau

[ocr errors]
[ocr errors]

"

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

de la vie. Large étoit la blessure, mais soudain a remplie de chair et guérie. Il pétrit et modela « cette côte avec ses mains sous ses mains se « forma une créature semblable à l'homme, mais « d'un sexe différent. Elle étoit si agréablement belle, que tout ce qui avoit paru beau dans le « monde ne parut plus rien maintenant, ou sem« bla confondu en elle, réuni en elle et dans ses regards qui depuis ce temps ont répandu dans « mon cœur une douceur non auparavant éprouvée. Sa présence inspira à toutes choses l'esprit d'amour et les amoureuses délices. Cette créa« ture disparut et me laissa sombre: je m'éveillai <«< pour la trouver ou pour déplorer à jamais sa « perte, et abjurer tous les autres plaisirs. Lors« que j'étois hors de tout espoir, la voici non loin, « telle que je la vis dans mon songe, ornée de « tout ce que le ciel et la terre pouvoient prodiguer « pour la rendre aimable. Elle s'avança conduite « par son divin Créateur (quoique invisible). Elle « n'étoit pas ignorante de la nuptiale sainteté et « des rites du mariage; la grâce étoit dans tous << ses pas, le ciel, dans ses yeux; dans chacun de << ses mouvements, la dignité et l'amour. Moi, « transporté de joie, je ne pus m'empêcher de

[ocr errors]

ફ્

"

[ocr errors]

« m'écrier à voix haute :

"

Tu as rempli ta promesse, Créateur bon et doux, donateur de toutes choses belles! mais « celui-ci est le plus beau de tes présents, et tu « n'y as rien épargné! Je vois maintenant l'os de «mes os, la chair de ma chair, moi-même devant « moi.

<< Elle m'entendit; et quoiqu'elle fût divinement amenée, son innocence, sa modestie virginale, << sa vertu, la conscience de son prix... pour tout <«< dire enfin, la nature elle-même, toute pure « qu'elle étoit de pensée pécheresse, produisit « dans Ève un tel effet, qu'en me voyant elle se « détourna. Je la suivis; elle connut ce que c'é<< toit que l'honneur, et avec une soumission majestueuse, il lui plut d'agréer mes raisons. Je la « conduisis au berceau nuptial, rougissant comme « le matin. Tous les cieux et les étoiles fortunées « versèrent sur cette heure leur influence choisie.

[ocr errors]
« PreviousContinue »