Page images
PDF
EPUB

meute furieuse, lâchée enfin contre celui sous qui elle rampait et qui longtemps l'a battue et meurtrie. Jonson trouvait dans son âme énergique l'énergie de ces passions romaines; et la lucidité de son esprit jointe à sa science profonde, impuissantes pour construire des caractères, lui fournissaient les idées générales et les détails frappants qui suffisent pour composer les peintures de mours.

[blocks in formation]

IV

Aussi bien c'est de ce côté qu'il a tourné son talent; presque toute son œuvre consiste en comédies, non pas sentimentales et fantastiques comme celles de Shakspeare, mais imitatives et satiriques, faites pour représenter et corriger les ridicules et les vices. C'est un genre nouveau qu'il apporte; là-dessus il a une doctrine; ses maîtres sont les anciens, Térence et Plaute. Il observe presque exactement l'unité de temps et de lieu. Il se moque des auteurs qui, dans la même pièce, « montrent le même personnage au berceau, homme fait et vieillard de soixante ans, qui avec trois épées rouillées et des mots longs d'une toise, font défiler devant vous toutes les guerres d'York et de Lancastre, qui tirent des pétards pour effrayer les dames, étalent des trônes disjoints pour amuser les enfants'. » Il veut présenter en scène

1.

Though need make many poets, and some such

As art and nature have not better'd much,
Yet ours for want hath not so loved the stage,

As he dare serve the ill customs of the age,

Or purchase your delight at such a rate,

As, for it, he himself must justly hate.

To make a child new-swaddled, to proceed

Man, and then shoot up, in one beard and weed,
Past threescore years; or with three rusty swords,
And help of some few foot and half-foot words,
Fight over York and Lancaster's long jars....
He rather prays you will be pleas'd to see

One such to-day as other plays should be;
Where neither chorus wafts you o'er the seas,

Nor creaking throne comes down the boys to please.

« des actions et des paroles telles qu'on les rencontre dans le monde, donner une image de son temps, jouer avec les folies humaines. » Plus de « monstres, mais des hommes, »> des hommes comme nous en voyons dans la rue, avec leurs travers et leur humeur, avec «< cette singularité prédominante qui, emportant du même côté toutes leurs puissances et toutes leurs passions, » les marque d'une empreinte unique'. C'est ce caractère saillant qu'il met en lumière, non pas avec une curiosité d'artiste, mais avec une haine de moraliste. « Je les flagellerai, ces singes, et je leur étalerai devant leurs beaux yeux un miroir aussi large que le théâtre sur lequel nous voici. Ils y verront les difformités du temps disséquées jusqu'au dernier nerf et jusqu'au dernier muscle, avec un courage ferme et le mépris de la crainte.... Ma rigide main a été faite pour saisir le vice d'une prise violente, pour le tordre, pour exprimer la sottise de ces âmes d'éponge qui vont léchant toutes les basses vanités. » Sans doute un parti pris si fort

1.

2.

Nor nimble squib is seen to make afear

The gentlewomen....

But deeds and language such as men do use....
You, that have so grac'd monsters, may like men.
(Every man in his humour, Prologue.)

When some one peculiar quality
Doth so possess a man, that it doth draw
All his affects, his spirits and his powers,
In their confluctions, all to run one way,
This may be truly said to be a humour....

I will scourge those apes,
And to those courteous eyes oppose a mirror,
As large as is the stage whereon we act;

et si tranché peut nuire au naturel dramatique; bien souvent les comédies de Jonson sont roides; les personnages sont des grotesques, laborieusement construits, simples automates; le poëte a moins songé à faire des êtres vivants qu'à assommer un vice; les scènes s'agencent ou se heurtent mécaniquement; on aperçoit le procédé, on sent partout l'intention satirique; l'imitation délicate et ondoyante manque, et aussi la verve gracieuse, abondante de Shakspeare. Mais que Jonson rencontre des passions âpres, visiblement méchantes et viles, il trouvera dans son énergie et dans sa colère le talent de les rendre odieuses et visibles, et produira le Volpone, œuvre sublime, la plus vive peinture des mœurs du siècle, où s'étale la pleine beauté des convoitises méchantes, où la luxure, la cruauté, l'amour de l'or, l'impudeur du vice, déploient une poésie sinistre et splendide, dignes d'une bacchanale du Titien '. Dès la première scène tout cela éclate:

[ocr errors]

Salut au jour, dit Volpone, et ensuite à mon or !

Ouvre la châsse que je puisse voir mon saint! »

Where they shall see the time's deformity
Anatomized in every nerve and sinew,
With constant courage and contempt of fear....
My strict hand

Was made to seize on vice, and with a gripe
Squeeze out the humour of such spongy souls
As lick up every idle vanity.

(Every man out of his humour, Prologue.)

1. Comparez le Volpone au Légataire de Regnard, le seizième siècle qui finit au dix-huitième qui commence.

LITT. ANGL.

II

- 3

Ce saint, ce sont des piles d'or, de joyaux, de vaisselle précieuse.

« Salut, âme du monde et la mienne! O fils du soleil, Plus brillant que ton père, laisse-moi te baiser

Avec adoration, toi et tous ces trésors,

Reliques sacrées de cette chambre bénite '.

Un instant après, le nain, l'eunuque et l'androgyne de la maison entonnent une sorte d'intermède païen et fantastique; ils chantent en vers bizarres les métamorphoses de l'androgyne qui d'abord fut l'âme de Pythagore. Nous sommes à Venise, dans le palais du Magnifico Volpone. Ces créatures difformes, cette splendeur de l'or, cette bouffonnerie poétique et étrange, transportent, à l'instant, la pensée dans la cité. sensuelle, reine des vices et des arts.

Le riche Volpone vit à l'antique. Sans enfants ni parents, jouant le malade, il fait espérer son héritage à tous ses flatteurs, reçoit leurs dons, « promène la cerise le long de leurs lèvres, la choque contre leur bouche, puis la retire, » heureux de prendre leur or, mais encore plus de les tromper, artiste en méchanceté

1.

Good morning to the day, and, next, my gold!

Open the shrine, that I may see my saint.

2.

Hail the world's soul and mine!... O thou son of Sol,

But brighter than thy father, let me kiss,

With adoration, thee and every relick

Of sacred treasure in this blessed room!

(Acte I, sc. 1.)

Letting the cherry knock against their lips.
And draw it by their mouths, and back again.

(Ibid.)

« PreviousContinue »